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En Forêt

Dans ‘En Forêt’, Mélanie Bourotte nous offre une réflexion profonde sur la nature et l’immortalité. Écrit à une époque où l’homme commence à reconnaître son insignifiance face à l’immensité du temps, ce poème célèbre la majesté des chênes, témoins silencieux des vies humaines et des cycles naturels. À travers ses vers, Bourotte évoque le lien indissoluble entre les êtres vivants, soulignant que même après la mort, nos empreintes persistent dans le monde qui nous entoure.
Le chêne au tronc géant, à l’épaisse ramure, Plonge dans le granit son pivot monstrueux ; Et le vivant réseau de sa rugueuse armure Déconcerte l’effort des vents impétueux. Deux siècles, trois peut-être et même plus encore, Pèsent, sans l’incliner, sur son front souverain ; Sa grande ombre enveloppe une pente sonore Où, de chênes, ses glands ont couvert le terrain. Combien il en a vu passer dans les clairières, De générations se poussant vers la mort : Blonds couples d’amoureux ou cohortes guerrières Ou chasseurs affolés courant au son du cor ! Qu’il en a vu tomber sous les haches sifflantes, De ses contemporains en cadavres changés ! Mutilés par des mains calleuses ou tremblantes, Dans quel vaste ossuaire ont-ils été rangés ?… Au pied de l’arbre assis, le garde prend haleine. Sur son front sillonné ruisselle la sueur ; Ses cheveux sont crépus comme une blanche laine Et son œil jette encore une chaude lueur. Il a compté pourtant un redoutable nombre D’hivers accumulés dans la nuit des grands bois… Dans un ciel tour à tour étincelant ou sombre, Il salua Noël plus de septante fois. Au flot pur de l’amour il a trempé sa lèvre Lorsqu’en son jeune cœur fleurissait le printemps ; Des transports belliqueux il a connu la fièvre Dans une guerre ancienne et dans un autre temps. Sous l’ombre et le soleil, durant sa longue voie, Ont alterné souvent le calme et les écueils ; Il sait ce qui désole et ce qui met en joie… Il tailla des berceaux et cloua des cercueils !… Son museau froid posé sur le genou du garde, Le chien rêveur frissonne au contact de sa main ; Son œil profond et doux interroge et regarde L’œil de son maître avec un regard presque humain. Il prête aux moindres sons une oreille exercée ; Du délinquant furtif il devine le pas Et, dans le fourré sombre ou la claire percée, Il poursuit le coupable et ne le manque pas ! Il a vu quinze fois revenir en septembre La meute et les piqueurs avec leurs longs couteaux ; Et quinze fois mûrir l’alize couleur d’ambre Et quinze fois aussi naître les louveteaux. En détail, il connaît les replis du « triage » : Coupes, taillis, futaie, éclaircie et semis ; Et ces troncs familiers qu’il effleure au passage Et ces rochers moussus lui semblent des amis. Que d’un soleil ardent les flèches embrasées Dessèchent les rameaux se tordant sous leurs chocs ; Que la neige ait courbé les cimes écrasées ; Que, sous la gelée âpre, éclatent les gros rocs ; Qu’aux rayons de midi bourdonnent les demeures Ou qu’à minuit ricane au loin l’esprit du mal, Par toutes les saisons et par toutes les heures, On rencontre sous bois l’homme avec l’animal. Avant l’aube, aujourd’hui commençant leur tournée, Ils ont de la forêt fouillé les profondeurs ; L’ombre gagne… voici la fin de la journée… Le vent du soir s’élève en murmures grondeurs. « Halte ! » ordonna le garde en saluant le chêne ; « Halte ! » comprit le chien qui s’arrêta soumis ; Et, tous deux étendus sur la mousse prochaine, Dans un calme repos ils semblent endormis ! Ils ne sommeillent pas : en un fécond silence L’esprit de l’homme agit, médite, se souvient… Et sous un masque lourd de trompeuse indolence, L’animal vigilant sur ses gardes se tient. Qu’il est vieux, l’épagneul ! mais quel faisceau d’années De plus que lui son maître a lié triomphant ! Pourtant cet homme antique, aux tempes basanées, Près du chêne aux cent bras n’a qu’un âge d’enfant… Le vieux chien fatigué, dans un avenir proche, Ira, sous le taillis, se cacher pour mourir Et ses os blanchiront à l’angle d’une roche, Au pied des jeunes plants qui doivent s’en nourrir ; Dans les vaisseaux ligneux, sa poussière impalpable, En séve transformée, à flots circulera, Et des lents bûcherons nul ne sera capable De deviner quel sang alors y coulera… Le vieil homme, lassé d’une trop longue route, Assombri par les deuils et pressé d’arriver, Au terme parvenu dans quelques jours sans doute, Détachera la chaîne où Dieu l’a su river… Il tombera des pleurs avec une prière Sur la tombe où ses fils l’auront enseveli… Puis la ronce et l’ortie envahiront la pierre… Ce sera l’abandon, le silence et l’oubli ! Le vieil arbre, peut-être à ses couches énormes, Longtemps ajoutera d’autres couches encor, Monument animé, colosse aux vertes formes, D’un théâtre imposant majestueux décor… D’autres vains tourbillons de notre armée humaine Passeront devant lui pour ne plus revenir… Il reste quand tout meurt… et le roi du domaine, Possesseur éphémère, avant lui doit finir… Mais si l’homme traverse ainsi qu’un météore L’étendue où la bise éteint chaque rayon, Si le parfum de l’urne en ses mains s’évapore, Si quelques mots à peine ont usé son crayon, La tombe ouvre pour lui des entrailles fécondes Où germe le grain mûr de l’immortalité ! Dans l’horreur du néant doivent rentrer les mondes… Mais l’avenir de l’âme… il est illimité !
Ce poème nous invite à méditer sur notre place dans la nature et à apprécier les liens qui nous unissent aux autres êtres vivants. N’hésitez pas à explorer d’autres œuvres de Mélanie Bourotte pour découvrir davantage de réflexions poétiques sur la vie et le temps.

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