Où ne danse nulle ronde
Que de mes songes diaprés
La menthe sauvage abonde ;
J’y fis maints rêves vrais
Au loin du monde.
Le doux bois, la sainte forêt,
Avec ses arbres familiers,
Ses taillis dont on ne saurait
Nombrer les tiges par milliers ;
Assis à l’ombre hospitalière
Je mâchonne une feuille de lierre.
Ecoutant chuchoter les peupliers.
Quand court un frisson blême,
Par leurs feuillages éparpillés :
«
Ton rire est cher à l’écho même, «
Qui l’a redit parmi les saules, «
Et c’est ainsi que moi je t’aime «
Et vais redisant tes paroles ; «
Ton ombre est fraîche à l’herbe grise, «
Ton doux poids réjouit la mousse, «
Ainsi mon âme aussi s’est mise, «
En l’ombre de ton âme douce ».
Il pleut sur les mousses fleuries
A grosses gouttes de soleil ;
Les heures vont par les prairies
Et l’air s’engourdit de sommeil ;
Par delà l’allée en arche,
Par delà l’ogive des branches
Plane, parfois, une nuée aux ailes blanches ;
Là-bas, sur l’horizon de plages,
La lenteur des plus lourds nuages
S’est profilée en patriarche,
Aux rêves graves et sages ;
Plus ne s’entend le chant du merle,
Il vient une rumeur des plages :
«
C’est quelque chose d’être ainsi «
Insoucieux qu’ailleurs déferle, «
La mer de
Vie avare et folle ; «
Ta voix est une vague, aussi, «
Ta voix qui s’enfle et qui s’éperle «
Ainsi, légère et sans parole ».
Les heures vont rieuses ou silencieuses
Et l’ombre tourne au pied lourd des yeuses,
Qui baignent dans la clarté molle ;
Les rayons obliquent lentement,
Et, sous la brise, les feuilles écouteuses
Chuchotent de moment en moment
Un nom qui jamais ne varie :
«
En un clair chant d’amour joli, «
Ta voix aux feuilles se marie, «
A l’eau gouttant au roc poli, «
Au gazouillis de l’air,
Marie,
«
Ta voix doucement se marie ;
«
Cette ombre est violette et rose,
«
Tu tiens une fleur de coquette
«
De ta main lente qui se pose ;
«
La fleur est rose et violette ;
«
Ton col s’incline au gré des gammes
«
Qu’éperle ra lèvre mi-close :
«
C’est ainsi que rêvent les femmes ;
«
T’aimer ainsi, c’est quelque chose… »
Les bouleaux ont des sveltesses de femmes
Parmi les pâles pins moroses ;
Le vent, muet tantôt, vagit et veut parler
Comme un enfant qui s’éveillerait.
Comme un enfant qui veut parler
Le vent ne sait que pleurer ;
Le vent pleure en accords éoliens,
Tristes à faire pleurer,
Tristes comme ton ombre nuit qui vient ;
Et la forêt lentement s’isole :
On y marche comme un intrus au crépuscule,
Sa vie auguste se recule
Loin de l’homme et de sa parole
Trop mesquine pour son grand rêve d’ombre ;
Le bois se solennise en temple,
Le bois religieux contemple
La mêlée où doit vaincre l’ombre.
—
O l’hymne des grands pins vers le soleil qui sombre !
La lamentation ulule lente et traîne
Par la vallée en lourds rythmes de thrène ;
Les feuilles planent et vont atterrir ;
Par les gaulis d’ombre tramés
Sanglore la honte de mourir ;
L’éternelle forêt agonise à jamais ;
Muettes, les feuilles se tassent pour pourrir
Dans l’ombre, à jamais.