Les Larmes Séchées du Temps
Foula les seuils éclopés d’un temple oublié,
Où les dieux déchus, sous les lierres qui fument,
Gardent l’écho lointain d’un espoir fusillé.Le crépuscule ardent y pleurait ses rubis,
Teignant les murs lépreux d’un sanglot obstiné ;
Les colonnes, doigts froids vers les cieux interdits,
Semblaient vouloir saisir un rêve assassiné.Sous l’arche où moisissaient des fresques dévorées,
Un coffret de buis noir, rongé par les regrets,
Gisait, cœur clos battant de mémoires sacrées :
À l’intérieur, un pli jauni de secrets.
La main tremblante ouvrit cet ultime murmure,
Lettre où dormait un siècle en linceul de parchemin ;
L’encre pâle, érodée, y contait sans rupture
L’adieu d’un cœur jadis égaré dans son chemin.
« Ô toi qui liras ces mots que le temps mutile,
Si jamais ton pas trouble ce tombeau de pierre,
Sache qu’en ces murs sourds, une âme fragile
Attendit en vain ton retour, ô frère, ô père…
Je vécus ici, captif de ma propre ombre,
À guetter chaque aurore un signe de ta main,
Mais les saisons, hélas ! plus cruelles que l’ambre,
Ont enseveli l’aube aux limbes du destin.
Nos serments, ces oiseaux aux ailes de poussière,
Se sont évanouis dans les gouffres du vent ;
Le puits où buvaient nos rires, sec de lumière,
Ne garde que l’écho d’un amour décevant.
Je pars maintenant où les silences dansent,
Là où les souvenirs ne mordent plus la chair ;
Ne cherche pas ma trace au delà du silence :
La nuit a dévoré jusqu’à mon nom de chair. »
Le voyageur, glacé par ces mots sans défense,
Sentit son sang se taire en un cri étouffé ;
Chaque syllabe amère, écho de l’absence,
Creusait en lui un vide où gisait le défunt.
Il revit les sentiers où leurs rires jumeaux
Avaient semé des fleurs aux couleurs de promesse,
Les soirs où l’univers n’était qu’un vaste vaisseau
Voguant vers des soleils ignorés de la tristesse.
Mais le temps, ce larron aux lèvres de mirage,
Avait effacé d’eux les chemins partagés ;
L’un erra, morcelé par les vents du naufrage,
L’autre mourut, croyant aux retours différés.
Le temple maintenant, tel un corps sans haleine,
Enveloppait le deuil de ses marbres froissés ;
L’homme, spectre vivant, butait sur chaque peine,
Tandis que les remords, en loups exténués,
Rongeaient ce qui restait de sa foi défroquée.
Il s’allongea, drapé dans la nuit du passé,
Et fixa sans cligner les voûtes fracassées
Où dansaient les débris d’un firmament cassé.
« Pardonne-moi, dit-il à l’ombre qui l’écoute,
D’avoir préféré l’ombre à la douce clarté,
D’avoir cru que la vie est un champ sans déroute
Où l’on sème les pas sans craindre l’éternité…
Ton attente fut vaine, et ma route, mensonge ;
Nous sommes deux reflets qu’un miroir a brisés.
Je viens m’ensevelir où ton dernier sang plonge,
Pour que nos ossements, du moins, soient épousés. »
Le jour naissant glissa ses lueurs clandestines
Sur deux formes couchées sous les décombres sourds ;
Le temple, en soupirant, referma ses poitrines,
Et le désert chanta la romance des jours.
Depuis lors, quand la lune, en sa pâle agonie,
Baise les murs muets de ce sanctuaire noir,
On entend deux soupirs, mêlés à l’insomnie,
Qui content aux échos l’impossible espoir.
L’un pleure le présent que le passé dévore,
L’autre gémit l’amour trop lent à revenir ;
Et le vent, porteur d’âmes, en passant les déplore,
Car il sait que l’oubli est le dernier mourir.