Les Ombres de l’Espoir
Un jeune homme aux yeux brûlants, courbé sous le mystère,
Traînait son âme en lambeaux, vêtue d’un blême auréole,
Et murmurait à Dieu des vers que nul n’entendait taire.
Son nom, jadis, vibrait aux lèvres des étoiles,
Mais le destin mordit sa lyre avec des dents de gloire :
Chaque chant s’effilochait en sanglots sous les voiles,
Et l’encens de ses mots se changeait en nuit noire.
Ce soir-là, les vitraux pleuraient des larmes d’ambre,
Les colonnes chuchotaient des prières de granit.
Il avançait, fantôme égaré dans la chambre
D’un ciel éteint, cherchant l’écho d’un infini.
Soudain, comme un soupir traversant les ténèbres,
Une ombre se leva, drapée de deuil et d’éther,
Ses cheveux étaient fils de lune et de funèbres
Rêves tissés au métier sombre des Parques sœurs.
« Je suis celle qui danse aux bords des précipices,
Celle dont les regards font germer les tourments.
Tes vers ont appelé mon souffle, ô poète novice,
Et j’apporte à ton cœur… un présent de tourment. »
Le jeune homme, ébloui par cette voix d’abîme,
Sentit vibrer son sang aux accords inouïs.
« Parle ! cria-t-il, toi qui connais mon crime,
Est-il un chant plus pur que les pleurs de la nuit ? »
L’ombre glissa vers lui, plus légère qu’un rêve,
Et posa sur son front des doigts froids comme l’hiver :
« Ton âme est un jardin où la mort déjà lève
Des fleurs dont le parfum attire le désert.
Je t’offre un choix cruel, ô frêle enfant des hommes :
Boire à la coupe d’or où scintille l’espoir,
Ou garder ton linceul de rimes et d’atomes,
Et voir ton nom, vivant, s’effacer dans le soir. »
Le poète, ivre d’une angoisse électrique,
Fixa l’être énigmatique aux prunelles d’acier :
« L’espoir n’est qu’un mirage aux ailes chimériques,
Mais je préfère son feu… à l’ombre du laurier. »
Un rire cristallin brisa le silence,
Tandis que l’inconnue ouvrait un livre ancien
Où chaque page était un miroir de souffrance,
Reflet de tous les cœurs dévorés par leur bien.
« Signe ici de ton sang, et tu verras renaître
La flamme qui consuma Sapho et Pétrarque.
Mais si tu veux fléchir le sort, il faudra peut-être
Donner en échange… ce que la nuit dérobe. »
Il prit la plume ardente, instrument de supplice,
Et traça son serment d’un geste déchirant.
Soudain, les cierges s’éteignirent, complices,
Et la nef devint scène d’un drame titanique.
Des visions surgirent : des amants enlacés
Se changeant en statues de sel sous la tempête,
Des enfants aux regards jadis illuminés
Marchant vers des gouffres que le temps leur apprête.
Le poète hurla : « Quel pacte as-tu scellé ?
Ces masques de douleur sont-ils mon héritage ? »
L’ombre, impassible, dit : « Tu as voulu danser
Avec les vérités qui dévorent les âges.
Ton chant sera sublime, les hommes pleureront
En écoutant ton œuvre, astre éclatant et triste.
Mais chaque mot gravé dans leur cœur puiseront
Leur force… dans le sang que ton destin maudit. »
Les années filèrent comme grains de poussière
Dans l’heureglass géant des cathédrales d’azur.
Le poète, couronné d’une glace éphémère,
Voyait ses vers fleurir en un printemps obscur.
Les foules s’agenouillaient devant ses odes sombres,
Les mères y lisaient le deuil de leurs enfants,
Les amants y puisaient des baisers sans nombre,
Et les rois y cherchaient l’écho de leurs tourments.
Mais chaque nuit, quand tombait le manteau des brumes,
L’ombre revenait, froide, exiger son tribut :
« Donne-moi tes souvenirs, tes rires, tes parfums,
Ou je briserai l’arc-en-ciel de ton salut. »
Il livra ses matins, ses joies, ses paysages,
Les yeux de celle qu’il aima dans un autre temps,
Le goût des fruits d’été, le son des coquillages,
Et les chemins secrets qui menaient aux étangs.
Un soir, vidé de tout, sauf de sa plainte altière,
Il retourna à la nef où tout avait commencé.
Les vitraux saignaient des couleurs de lumière,
Et l’orgue murmurait un requiem blessé.
« Pourquoi m’avoir offert ce don empoisonné ?
Ma lyre est devenue un cercueil de médailles !
J’ai perdu jusqu’au nom des visages aimés,
Et mes vers ne sont plus que des funérailles. »
L’ombre, alors, se matérialisa en femme,
Ses traits un mélange de mère et de trépas :
« Je suis l’Envers du rêve, la sœur de ton âme,
Celle qu’on ne contemple… qu’en ne se voyant pas.
Tu as choisi la gloire, et son cortège vide,
Préféré l’éternité… à la douceur du vent.
Maintenant, il est temps que ton corps soit liquide,
Que ton esprit se fonde au néant triomphant. »
Le poète, effleuré par une étrange tendresse,
Sentit ses os chanter un ultime poème.
Ses lèvres exhalèrent une plainte traîtresse :
« L’espoir était donc ce mensonge suprême… »
La cathédrale entière frémit, puis soupira,
Les pierres ouvrirent leurs veines de poussière,
Et le jeune homme, en cendres, s’évanouira
Dans les plis du silence et de la lumière.
Au matin, on trouva, près des fonts baptismaux,
Un livre aux pages blanches, lié de cuir pâle,
Où chaque feuillet, sous les doigts les plus saints,
Criaient des vers si beaux qu’ils firent pleurer les anges.
Mais nul ne sut jamais, dans la ville en émoi,
Que ces mots immortels, sublimes et tragiques,
Étaient les derniers sons d’un cœur réduit en loi,
Achetant l’éternel… au prix du chronique.
Et depuis, quand la lune argente les décombres,
Une voix erre parfois dans le chœur déserté,
Murmurant cet adieu que les échos sombrent :
« J’ai vendu mon aurore… pour l’immortalité. »
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