L’Exilé du Temple aux Étoiles Éteintes
Au seuil des temps fanés où les murs ont des pleurs,
Un enfant sans berceau, courbé sous les douleurs,
Franchit l’arche du temple où la nuit se condense,
Ses pas creusant l’écho des marbres en silence.
Les colonnes, fantômes drapés de lune pâle,
Étiraient vers les cieux leur lamentable haleine,
Tandis qu’un astre unique, orphelin de ses sœurs,
Perçait d’un œil d’argent les ténèbres obscènes.
« Ô pierres, soupira-t-il, gardiennes du mystère,
Dites-moi quel destin lia mes jours au vent,
Pourquoi le sang des miens s’efface en cette terre,
Et quel serment d’oubli scella mon cœur mouvant ? »
Mais les gradins usés, les stèles mutilées,
Ne lui rendaient que l’ombre en leurs gorges glacées.Soudain,
comme un frisson dans la pourpre du vide,
Une forme émergea du néant indicible:
Femme ou spectre ? Ses yeux brûlaient d’un feu dormant,
Ses cheveux déroulaient un fleuve de tourment.
« Je suis l’Âme du Lieu, dit-elle, et la dernière
À connaître l’énigme enfouie en tes veines.
Viens : les astres ont peint ton chemin sur les eaux,
Mais prépare ton âme à l’amertume vaine. »
Elle le guida vers un caveau sans flambeau
Où gisaient des débris de miroir et d’anneaux,
Un luth aux cordes mortes, une épée rouillée,
Et trois noms sur l’argile à jamais oubliés.
« Regarde : en ces fragments dort ta propre naissance.
Tes parents, exilés par un ordre fatal,
Confiant ton berceau à la lune complice,
Ont lié ton destin à ce temple ancestral. »
L’enfant tomba genoux, étreignant une urne froide
Dont les bords ciselés montraient un cygne noir.
« Parle-moi, vase sourd ! Rends-moi ma propre histoire !
Quel crime a donc scellé notre sang sous ces voûtes ? »
L’urne alors frémit, puis d’une voix minérale :
« Tu portes dans ton sang l’antique malédiction
D’aimer trop les secrets que les dieux ont proscrits.
Tes parents sont partis payer cette passion. »
Le vent se fit plus âpre, arrachant aux décombres
Un chant de trahison, de serments dénoués.
L’enfant vit se lever mille ombres en décombres,
Torses nus lacérés, regards ensanglantés.
« Vois ces martyrs, dit l’Ombre. Ils ont tous, comme toi,
Cherché l’énigme d’or sous le masque des lois.
Leur crime fut d’arracher au ciel ses armures,
Leur châtiment : hanter l’éternel entre-deux. »
Alors l’orphelin, tel un roseau qui se brise,
Sentit monter en lui le vertige du deuil.
« Dois-je donc à mon tour, ombre parmi les brises,
Errer sans embrasser le visage du seuil ? »
Mais l’astre unique alors, perçant la nue épaisse,
Couvrit d’un linceul d’or le temple et sa détresse,
Et l’enfant comprit soudain, dans un sanglot ravi,
Que cette lueur pâle était son seul pays.
« Pars, dit le spectre. Ici, plus rien ne peut renaître.
L’exil est ton royaume et ta seule raison.
Chaque pas que tu fais doit briser un ancêtre,
Chaque souffle effacer les mots de ton nom. »
Il obéit, gravit les degrés sépulcraux,
Tandis qu’au loin grondait l’océan des naufrages.
L’étoile le guidait, funeste et tendre à fois,
Comme un dernier baiser brûlant sur les visages.
Arrivé sur le seuil où le monde se tait,
Il se retourna : l’Ombre avait déjà disparu.
Le temple n’était plus qu’un songe qui palpite,
Un murmure étouffé dans le creux des statues.
Alors, ouvrant les mains où tremblait son enfance,
Il laissa le vent prendre cendres et souvenirs,
Et s’enfonça dans l’aube aux lueurs incertaines,
Corps transi que poursuit l’abîme des désirs.
Depuis, quand l’horizon se teinte de tristesse,
Qu’un cri traverse l’air comme une lame nue,
On dit qu’on peut le voir, errant dans les détresses,
Cherchant en vain les traits d’une mère inconnue.
Le temple est retourné au silence des pierres,
L’étoile s’est éteinte au fronton des nuits noires,
Et le vent ne chante plus qu’un nom sans réponse
Dans l’écho sans pitié des mémoires vides.