Les Larmes d’Icare au Temple Oublié
Se dresse un temple ancien érodé par les âges,
Ses colonnes de brume et ses pâres piliers
Gardent l’écho lointain des sanglots étrangers.
Là vient choir, un soir blême où la lune se voile,
Un errant couronné de feuilles et d’étoiles,
Poète au front meurtri par les mots trop ardents,
Exilé de lui-même et du souffle des vents.
Ses pas creusent la mousse où dorment les stèles,
Il écoute gronder les abîmes fidèles,
Et dans l’ombre qui danse aux lueurs des flambeaux,
S’élève une voix douce éclose sous les arceaux :
« Qui trouble le repos des ombres sépulcrales ? »
Une femme apparaît, spectrale et minérale,
Ses cheveux sont un fleuve où nagent les regrets,
Ses yeux deux lacs gelés reflétant les secrets.
« Je suis l’âme enchaînée à ces pierres qui pleurent,
Dit-elle, et mon destin se mêle aux heures leurres.
Toi, l’enfant du chemin marqué par le destin,
Pourquoi fouler ce sol où germe le chagrin ? »
Le poète, tremblant comme un luth sous l’orage,
Lui tend un chant muet façonné dans l’orage,
Car son cœur trop chargé de rimes et de fiel
A renoncé aux mots pour écouter le ciel.
Nuits où les deux destins s’effleurent sans se prendre,
Lui lit dans les éclairs ce qu’il ne peut entendre,
Elle tresse des vers avec des fils de lune,
Et leur silence croît comme une amertume brune.
Un matin que l’aurore ensanglantait les cimes,
Il trouve à son chevet une lyre sublime
Dont les cordes sont faites de larmes cristallines
Et les courbes, sculptées dans l’ivoire des chagrins.
« Joue », murmure la nuit le souffle qui l’enlace,
Mais chaque note éveille un spectre du silence.
Les murs du temple ancien frémissent de douleur,
Et l’écho des accords réveille un vieux malheur :
« Malheur à qui trouble l’ordre des ombres saintes !
Malheur à qui défie les lois des labyrinthes !
L’amour né sous les dômes où veillent les remords
Doit mourir sans franchir les portes de la mort. »
Elle fuit, emportant dans ses voiles de brume
L’espoir à peine éclos que le destin allume.
Il la cherche en hurlant sous les cryptes sans fond,
Mais ne trouve que l’ombre où son nom se répond.
Un jour, près d’un autel rongé par les lichens,
Il découvre un parchemin aux signes anciens :
« Celui qui veut saisir la rose interdite
Doit offrir à la nuit sa jeunesse maudite. »
Sous la coupole où pleurent les anges de pierre,
Il allume un bûcher nourri de sa lumière,
Et tendant vers les cieux sa lyre ensanglantée,
Il chante l’hymne noir des âmes confrontées.
La flamme monte, avide, et dévore ses ailes,
Les murs s’écroulent dans une clameur charnelle,
Et dans le brasier d’or où meurt son dernier vœu,
Il voit rire une ombre… avant de choir en lieu.
Quand renaît la pâleur des lunes éternelles,
Le temple n’est plus qu’un champ de fleurs mort-nées,
Où deux fantômes muets, errant parmi les ronces,
Cherchent en vain les mots que leur cœur ensemence.
Le vent porte parfois, aux confins des désastres,
Un écho de lyre au parfum de désastre,
Et les loups à la nuit racontent en hurlant
L’amour enterré vif sous le marbre brûlant.
Ainsi va le destin des flammes trop ardentes
Qui dans l’obscur désir consumèrent leurs tentatives,
Et celui qui contemple avec des yeux anciens
Le val où dort le temple en un deuil sidéral,
Entend monter des pierres un soupir tragique :
« L’exil est la patrie des cœurs prophétiques,
Et l’amour le plus pur est celui qui se tait
Dans le silence noir où le monde se plaît. »
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