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L’orphelin et l’astre éteint
Un enfant aux yeux clos, couronné de mystère,
Cherchait dans les débris des soleils éplorés
La trace d’un sang perdu, fantôme de la terre.
Son cœur, coffre scellé où dormaient des pourquoi,
Battait au rythme sourd des vagues en exil,
Et chaque grain de sel qui brûlait son emoi
Cristallisait en pleurs sur son front puéril.
La lune, spectre pâle aux lèvres de phosphore,
Lui contait chaque nuit l’écho d’un crépuscule
Où des rires parents, naufragés dans l’aurore,
Avaient laissé son nom aux dents d’un flot qui brûle.
« Vois-tu, petit rejet arraché à la sève,
L’océan est un linceul tendu vers l’oubli :
Tes pas sont condamnés à hanter cette grève
Où s’effritent les corps que le destin a pliés. »
Mais l’enfant, entêté comme un feu sous la glace,
Grava dans sa paupière un astre jamais vu,
Comète aux cheveux d’or qui dans le vide passe,
Promesse d’un rivage à l’horizon déchu.
Il bâtit des radeaux avec des os de rêves,
Tissa des voiles d’ombre et de brume lactée,
Et partit, un matin où les nuages brèves
Pleuraient des diamants sur sa joue maltraitée.
Les sirènes du large, en leur chant de détresse,
Lui jetèrent trois fois le présage des morts :
« Malheureux qui convoite une île enchanteresse
Où les fruits de vérité naissent des os des ports ! »
Pourtant il navigua, brûlant les nuits stellaires,
Son esquif fendant l’âme obscure des flots verts,
Tandis que dans son dos, l’île aux rocs sépulcrales
Craquait comme un amour trahi depuis l’hiver.
Au septième couchant, quand les étoiles boiteuses
Clignaient vers l’infini leur prunelle de jade,
Une lueur trembla, plus vive et douloureuse,
Scintillation amère au firmament malade.
« Voici l’astre promis ! » cria-t-il à la brume,
Mais l’horizon mentait par ses sourires tors :
Ce n’était qu’un reflet, une épave qui fume,
Le mirage natal des regrets ensevelis.
L’enfant se noya d’ombre, avalant sa détresse,
Sentant fondre ses os sous le sel corrupteur,
Quand soudain – ô miracle ! – une tendre caresse
De lumière effleura son visage en sueur.
C’était Elle, l’Étoile aux paupières de soie,
Déesse sans royaume errant entre les mondes,
Qui depuis son néant contemplait avec effroi
Ce petit être ardent perdu dans les eaux blondes.
« Viens, âme sans racine, ô frère de ma course,
Je suis l’unique clé des portes que tu frappes :
Ton île n’était rien qu’un mensonge de source,
Mais je t’offre l’exil qui délivre des maps. »
L’enfant tendit sa main vers la lueur divine,
Mais chaque flot hurlait comme un chien enchaîné :
« Malheur à qui renie sa douleur originelle !
Ton sang est un sel qui doit rester incarné. »
Alors, sous le regard des constellations tristes,
Se joua le destin des amants éphémères :
L’Étoile, en un soupir, fondit comme un cristal,
Et l’enfant, dévoré par la mer, devint pierre.
Maintenant, quand la nuit tombe sur les criques
Et que les goélands sanglotent vers le large,
On entend une voix qui murmure sans trique :
« Toute vérité n’est qu’exil sous une charge. »
Et les vagues, psalmodiant l’éternel adieu,
Roulent dans leur écume un cœur pétrifié
Qui cherche encore au ciel, parmi les dieux en feu,
L’ombre d’un astre mort dont il fut le marié.