Le Chant des Pierres Oubliées
Comme un pleur ancien rôdant sur les pavés,
Et le château, spectre aux arceaux inclinés,
S’érige en tombeau d’un rêve achevé.
Sous la lune pâle, un vieillard se dessine,
Ombre parmi l’ombre où le passé s’attache,
Ses doigts tremblants traçant des chemins de cendre
Sur les murs froissés que le lichen arrache.
«Ô tours qui chantiez l’aurore et ses rubis,
Murs où dansaient naguère les rires éperdus,
Pourquoi gardez-vous sous vos paupières de pierre
L’écho des serments à jamais suspendus ?»
Sa voix se perd dans les couloirs sans maîtres,
Où l’heure, jadis, s’égrenait en clairières,
Et le temps morose, en sa lente agonie,
Tisse un linceul de poussière et de lierre.
Il marche, guidé par les fantômes tendres
D’un feuillet jauni que le destin déchire :
C’était un matin de guerre et de cendre,
Quand l’aube rougit les lèvres de l’empire.
«Reviens quand les blés seront plus hauts que l’ombre,
Quand les clairons muets giseront sous les ronces.
Je bâtirai pour toi des ponts de lumière,
Et nos pas danseront où la mort s’enfonç.»
Paroles d’adieu, semences d’espérance,
Scellées au cœur comme un bijou d’enfance,
Tandis que l’ami, drapé d’un froc de fer,
S’enfonçait dans l’âpre haleine des combats.
Les saisons ont bu les sanglots du vieil homme,
Son regard s’est fait vitrine de mirages :
Il voit surgir, entre les brumes de l’automne,
La silhouette aimée franchir les herbages.
«Entends-tu le cri des sources ensevelies ?
Elles murmurent ton nom sous les racines.
Les roses ont fui, mais je garde leurs épines
Pour tracer ton chemin vers la maison pâlie.»
Nuit après nuit, il édifie un royaume
De mots suspendus entre ciel et ruines,
Croyant, dans le chuchotis d’un rossignol,
Reconnaître un pas sur la terre inclémente.
Un soir pourtant, l’hiver mordant les pierres,
L’espoir, fragile esquif, heurta le récif :
Un messager vêtu de givre et de poussière
Apporta un pli scellé de cire pensive.
«Ne l’ouvrez point,» dit la voix du silence,
Mais ses doigts rompirent l’enveloppe blême,
Et les mots, vipères au venin d’absence,
Dévorèrent l’ultime braise du poème.
«Il repose où les corbeaux font leur lit,
Sous un ciel de plomb que nul chant n’adoucit.
Son épée, rouillée, est croisée sur sa gorge,
Et son cœur… son cœur vous attend ici.»
Le vieillard sourit à l’horizon livide,
Saisit une clé rouillée en sa poitrine,
Et gravit l’escalier où le néant réside,
Portant haut le flambeau d’une vaine doctrine.
Dans la tour suprême, aux vitraux éclatés,
Il déposa l’âme en lambeaux, nue et franche,
Puis, ouvrant les bras au mensonge des nues,
Il chanta l’adieu que le vent étouffa :
«Prends ce cœur qui battit pour des lendemains roses,
Ce souffle promis à l’aurore éternelle.
Je t’ai bâti un palais où les mots sont des roses,
Mais ton silence est la plus cruelle dentelle.»
Le jour se leva, froid et sans indulgence,
Sur le corps friable étendu dans les ronces,
Tandis qu’au lointain, une cloche pleurait
La chute lente des promesses défuntes.
Et le château, gardien des mémoires trépassées,
Serra dans ses murs le secret des sanglots,
Tissant à jamais, dans sa chair de pierre,
Le deuil immobile d’un impossible sanglot.
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