Autour d’ un ténébreux autel,
Passaient, passaient toujours des victimes sans nombre,
Les bras tendus vers l’ éternel.
Toutes avaient au front une trace luisante;
Toutes, comme un maigre troupeau
Qui laisse à l’ écorcheur sa tunique pesante,
Portaient du rouge sur la peau.
Et toutes, ce n’ étaient que vieillards à grand âge,
Le bâton d’ ivoire à la main,
Comme ceux que la mort, en un jour de carnage
Trouva sur le fauteuil romain;
Que jeunes gens amis, à la vaste poitrine,
Au coeur solide et bien planté,
Frappés, la bouche ouverte, et d’ une voix divine
Chantant la belle liberté;
Ce n’ étaient que des corps meurtris et noirs de fange,
Du sable encor dans les cheveux,
Et battus bien longtemps, sur une rive étrange,
Des vents et des flots écumeux;
Ce n’ étaient que des flancs consumés par les flammes
Dans le creux des taureaux d’ airain,
Que membres déchirés sous mille dents infâmes
Devant le peuple souverain;
Que des porteurs divins de blessures infimes,
Des sages couronnés d’ affront,
Des orateurs sacrés, des poëtes sublimes,
Tombés en se touchant le front;
Puis des couples d’ amants, puis la foule des mères
Traînant leurs enfants par le bras,
Et les petits enfants pleins de larmes amères
Et soupirant à chaque pas
Et ces ombres, hélas! Avides de justice,
Plaintives, les mains dans les airs,
Demandaient vainement le prix du sacrifice
Au dieu puissant de l’ univers.