Le Jardin des Songes Perdus
Portait au dos un luth usé par les automnes.
Ses doigts, fantômes las des mélodies mortes,
Cherchaient en vain un lieu où renaître les notes.
Un soir, las de marcher sur les chemins de pierre,
Il crut voir dans la brume un arbre de lumière,
Ses branches déchirant le voile du néant,
Appelant son regard d’un souffle obsédant.
Derrière un mur croulant, fissuré de mystères,
S’ouvrait un jardin clos, royaume éphémère :
Les rosiers y pleuraient des pétales de sang,
Les fontaines chantaient un air si languissant
Que le vent lui-même retenait son haleine,
Captif des larmes d’or qui perlaient sur leur chaîne.
L’homme poussa la grille, et sous ses pas fragiles,
Les pavés murmurèrent des mots sacramentels.
« Approche, voyageur, âme en quête d’asile,
Ici, chaque soupir devient un chant fertile,
Chaque blessure ancienne un prélude à l’espoir. »
Mais le musicien, brûlé par le savoir
Des chemins sans clémence et des nuits sans écho,
N’osa croire au mirage offert par les échos.
Pourtant, une voix douce, éclose d’un vieux chêne,
Glissa comme un pardon à travers ses veines :
« Tes mains ont oublié la caresse des cordes,
Tes yeux ont trop pleuré les horizons mornes.
Joue pour les lys froissés, joue pour les ombres folles,
Et je te rendrai l’or perdu de tes paroles. »
Alors, sous le ciel pâle où dansait un croissant,
Il saisit son instrument, corps frêle et tremblant,
Et fit vibrer les airs d’une plainte si pure
Que les murs du jardin frémirent de murmures.
Les statues de marbre, gardiennes du silence,
Laissèrent couler l’eau de leurs yeux de souffrance.
Un rossignol vint boire aux sources de ses notes,
Et son chant se mêla aux sanglots des idiotes
Fleurs qui, d’instant en instant, déployaient leurs corolles
Comme autant de prières vers les astres frivoles.
Le temps perdit son nom, les heures, leur emprise,
Et l’homme crut toucher l’éden qu’on lui promit.
Mais au cœur de ce rêve où tout n’était qu’ivresse,
Une ombre grandissait, lourde de promesses.
La voix du vieux chêne, soudain plus sombre, dit :
« Tu as réveillé l’âme de ce lieu maudit.
Chaque accord que tu joues est un pas vers ta perte,
Car ici, la beauté se nourrit de chair offerte.
Les pétales de sang sont les larmes des fous
Qui ont cru posséder l’infini sur un clou. »
Le musicien sourit, croyant à quelque ruse,
Et pressa les cordes d’une main plus confuse.
Mais le luth, transformé en serpent doux-amer,
Se lova autour de son cou comme un éclair.
Les roses se fermèrent, les fontaines tarirent,
Et les étoiles mêmes dans les cieux se meurtrirent.
« Tu voulais que l’illusion soit ton refuge,
Maintenant, tu seras la proie de son déluge. »
Il tomba à genoux, sentant son corps éclore
En poussière de notes que le vent dévore.
Ses doigts, devenus feuilles, son souffle, brume légère,
Se fondirent aux murs de la prison fleurie.
Le jardin disparut avec le dernier son,
Ne laissant qu’une épine au creux de l’horizon.
Depuis, les voyageurs qui passent près des ruines
Entendent parfois gronder une complainte fine,
Comme si chaque pierre, chaque herbe, chaque vent,
Pleuraient l’éternel prix des illusions d’antan.
Et nul ne sait pourquoi, devant ces murs fantômes,
Ils portent sans raison des larmes aux paupières,
Tandis qu’au loin, très loin, une musique altière
Rappelle les damnés des beautés éphémères.
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