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Iphigénie

Le poème ‘Iphigénie’ de Philippe Delaveau nous transporte dans un univers chargé d’émotions et de symbolisme. Évoquant les thèmes du destin, de l’amour et de la mort, ce texte puise ses racines dans la mythologie grecque tout en résonnant avec des réalités contemporaines. À travers une écriture riche et évocatrice, Delaveau souligne les luttes intérieures et sociales de l’humanité. Ce poème demeure pertinent, incarnant la lutte pour la mémoire face à l’oubli.
Au moment de pencher ses épaules Au-dessus de la vasque, Iphigénie se remémore Un récit, lointain peut-être où se mêlent Le cri des hirondelles sous un angle du toit, Les images qu’ausculte le ciel immobile : hennissements De chevaux harnachés qu’on emmène aux rudes étraves, Oscillation sous la houle des casques de visages Guerriers. Le chant des vagues rythme Une trop longue attente. Sur les boucliers ronds À la mesure du monde hostile, sur les armes, Le crépuscule arrache aux lueurs d’été ses lambeaux D’oriflammes, dont brûlent sur les pentes de l’Olympe Les arbres tordus par le vent, les dieux. La mer était exubérante et rouge, couleur d’argile Où s’empêtrent les hommes demi-nus, s’exténuant. On lance à l’animal des peurs sordides, le javelot; Avec le taureau noir des nuits d’écume, on lutte Ici, sans fin, sous l’huile de lampes vacillantes. Certains jetés à bas périssent, que piétinent chevaux Couleur d’orage et roues de char plus ferraillant que les tonneaux. L’eau froide où ses ongles lacèrent les pleurs D’une autre jeune fille la réveille. Tandis qu’elle traverse une antichambre Du palais; certains dans le jour rougeoyant qu’ont fui Les tourterelles, disaient – on entendait la mer hennir Et les montures – qu’on partirait bientôt. Mais la pitié Que ne connaissaient pas les déesses lascives, Offrit des bois si proches, une biche venue. Même aux siècles ensanglantés, tu ne faillis, Amour, mais de quel ciel puisque l’orage Gronde sur la vieille Aulis avec sa vague d’encre noire? Le bestiaire au-dessous de la toile Que les forains au crépuscule déplient, Grince; une musique forcenée Arrache aux animaux qui se succèdent sans répit Des regards suppliants dans le rigide bois. Les chevaux chamarrés des Amazones, Les éléphants bâtés de tourelles que Scipion défia, Les Centaures aux flancs puissants, les boucs Amants des chétives sources, caracolent Sous les photos défraîchies des stars, et l’écriteau Décrète le prix de la course, trois francs peut-être. Du talon les enfants rieurs lacèrent la peinture épaisse, Et de leurs doigts menus harcèlent les crinières. Mais les vieillards assis sur les fauteuils rouilles Abattent le brelan poisseux des cartes, jurant fort, Et conversent tout bas d’Hélène aux bras nus, aux longues, Qui traverse l’allée poussiéreuse des jardins, Allumant une cigarette entre ses lèvres peintes. Elles avaient levé leurs bras d’ambre Vers le ciel où chaque soir jaillit la beauté. Marchant de ce pas noble et fier, À travers les hangars, la nuit des docks; Titubant sur les rails qui se perdent, les aiguillages Dans les herbes; en quête d’un cratère où mêler au vin vieux Leurs larmes, puisque le monde est mort Où bouillonnaient les sources de beauté. Toute sollicitude aussi. Les pluies obliquement Frappent les coques des navires mis à la rouille. La mort, l’oubli, et nous marchions pourtant, fragiles sœurs De l’aurore, à la lisière de ce temps : sans nous, Vous ne comprendrez pas le temps; nous connaissons Le nom des sources, l’emploi du pentamètre pour célébrer La mort d’un monde, le rossignol vespéral, ta gloire anéantie, Virgile. La terrible beauté scrute le parc désert, insensible Aux chênes ruisselant de pluie; à la ville Hérissée de tours, aux monuments qui s’enfoncent Doucement dans les lentilles d’eau : sous l’arche lézardée César n’entrera plus suivi du triomphe éclatant; Hercule Ne soutient plus la gloire au porche de deux mers. La nuit Épaisse et moite jette ses filets Sur les voies encombrées de foules mornes. Beaucoup se perdent sur le lacis des routes; d’autres S’écroulent dans les ornières. La pluie triste redouble Sur les terrains abandonnés où le tyran défie Vesper et la paix De l’été. Le soleil froid erre sur son visage, ou peut-être Rit-elle. Et l’ombre l’enveloppe, Errant sur le jardin qu’ont meurtri les démolisseurs, les bassins où Pourrissent les feuilles des arbres tronçonnés. Son regard Considère la nuit glaciale; un poète Eût aimé la grâce de son corps et meurtrir Vainement sa bouche à son sein glacé. Elle contemple Au loin Rome nocturne et rouge sous l’orage, les autoroutes Encombrées d’autos immobiles, de son ceil impassible, Et dépourvu de cils. Derrière le cheval marmoréen Que veille l’herbe drue, voici l’or mauve et roux du soir, Le silence des vignes veillées par les cigales. Le vieillard édenté qui presse un âne sur la pente A négligé le char d’Achille Que conquièrent les lances des chardons et la rouille. La tombe de Patrocle a disparu sous les cheveux crépus des ronces Dont les ongles protègent les essaims D’abeilles sauvages, vaquant sur le butin des fleurs A des miels invisibles, couleur de bronze. Narcisse au milieu de la forêt, Sourd aux voiliers du ciel rose qui l’appellent, Veille son doux visage baigné de lune. Mon frère qui vit au loin dans la petite maison D’argile est mort, et tu n’as pris le deuil. Rien n’arrête le vent invisible, capable Seulement de prélever l’impôt de feuilles. Les pluies Heurtent le péristyle, atteignent les prairies. Le bâtiment sur la mer traverse une autre solitude; L’arbre ancré au talus tâtonne une ténèbre qui se déchire. L’amour de soi se porte bien pourtant; nous nous aimons sur la page Encombrée d’écritures; Narcisse se regarde Au flux du poème, si vain. Atteindra-t-il ainsi à l’unité? Nous cherchons ce visage inconnaissable au fond de l’eau Qui nous regarde, loin, dans les coulisses d’un miroir Où les regards sont d’impuissantes sondes, ces pages avec tant d’apprêts. La ville se réveille à l’aube, les rues puantes de Soho s’emplissent Des frères de Narcisse, des sœurs, mais oubliées, leurs yeux Que cerne l’ombre. La pluie s’accroît sur les enseignes lumineuses De Piccadilly où pose un ridicule Éros en bronze, Pendant qu’Antigone achève de fourbir, dans la cuisine étroite, Les plats de cuivre. Je ne reverrai plus l’Italie aux cyprès noirs Ni, accoudée au marbre blanc de son palais, Didon Qui pleure ses amours. La mer Est à ses pieds, paisible, fleurant la menthe. Aux arbres S’enguirlande la vigne. Est-il licite de se souvenir? Par les prairies et les lentes forêts, La pluie campe ses bataillons qui guerroyaient naguère Sur cette plaine grise qu’Alexandre n’a pas connue. Les années dures se succèdent sur la Tamise, au gré Des houles. Barges de minerais et ballots de coton S’entassent dans les entrepôts couleur de suie, avec Le thé des Indes. Énée quitte le quai dans un déluge d’or; La brume l’a nimbé de lumière. Dans les gares, S’essouffle au gré de sa vapeur le train qui défie Les distances, mais quel espoir reste aux amants De se rejoindre? La mer est vaste, le cœur oublieux. Le temps caracole dans les allées de Hyde Park; on jette aux cygnes Le pain noir amolli par l’eau rance. Des héros Qui renaissent toujours, nul n’a vaincu la mort. Nous voudrions Les oublier : ils reviennent troubler la torpeur des mémoires. Pourquoi tant de douleur? Les lévriers De Diane b’illent devant le feu, après avoir Dans les sous-bois mouillés couru le cerf. Et les Panathénées captives Sur les trottoirs humides posent leurs beaux pieds nus, Emprisonnées dans une éternité de marbre et de silence. À la proue formidable encore le lion blasphème, Insensible à la chevelure noire de Didon Où luisent les rubis du départ éternel. Une coupe Qu’on jette à la face des mers réveille D’infimes astres. Tandis que s’en revient toujours la mort Inachever les phrases, le lion grimace ayant Jusqu’à l’Orient lointain conquis la terre Et perdu son empire. Le timide bruit de tes lèvres, Virgile, À l’instant que le soleil latin visite l’oliveraie. Tityre nettoie la houe qui luit. Bonheur, Par quel hasard se brouille ton ciel couleur Des lessives blanches, tandis qu’un vol violet D’abeilles s’abat sur les bruyères. Le monde Attend d’être sauvé; Auguste règne, les temps Sont proches. Le mal depuis des temps insondables rôde À coups lancinants d’éclairs et trouble au milieu du sang D’homme sur les places, la paix. Il fallut chez le peuple des tentes, Un bouc qu’on vouait aux solitudes. Ici, parmi les dieux coupables, Les mages déchiffraient ta face dans le campement blond des nuits, Sincères comme l’eau d’une improbable fonte, Troubles pourtant. Le poème rappelle aux bois Que nous avions ravis dans ces enfances d’âme, Ce que nous fûmes en jouant, déjà promis aux inlassables Peurs. Et toi qui t’allonges sous le hêtre, suçant entre tes lèvres Pleines le chalumeau, quel désir a vécu Dans tes ciels, ô frère inconcevable, toujours lointain, O marcheur immortel qui te réjouis d’apprendre qu’il est venu, L’Innocent, pour t’arracher aux soumissions. Mais il fallait Que s’agrandît jusqu’aux extrémités du monde, l’ombre san- glante D’une croix sur le tertre élevée.
En conclusion, ‘Iphigénie’ invite à une réflexion sur notre rapport à la mémoire et aux tragédies qui jalonnent nos vies. N’hésitez pas à explorer davantage les œuvres de Philippe Delaveau pour découvrir d’autres facettes de son talent poétique.

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