Par dâinjustes clameurs ces braves outragĂŠs
Ă se justifier nâont pas voulu descendre;
Mais un seul jour les a vengĂŠs :
Ils sont tous morts pour vous dĂŠfendre.
Malheur Ă vous si vos yeux inhumains
Nâont point de pleurs pour la patrie!
Sans force contre vos chagrins,
Contre le mal commun votre âme est aguerrie;
Tremblez, la mort peut-ĂŞtre ĂŠtend sur vous ses mains!
Que dis-je? Quel français nâa rĂŠpandu des larmes
Sur nos dĂŠfenseurs expirans?
PrĂŞt Ă revoir les rois quâil regretta vingt ans,
Quel vieillard nâa rougi du malheur de nos armes?
En pleurant ces guerriers par le destin trahis,
Quel vieillard nâa senti sâĂŠveiller dans son ame
Quelque reste assoupi de cette antique flamme
Qui lâembrasait pour son pays?
Que de leçons, grand dieu! Que dâhorribles images
Lâhistoire dâun seul jour prĂŠsente aux yeux des rois!
Clio, sans que la plume ĂŠchappe de ses doigts,
Pourra-t-elle en tracer les pages?
Cachez-moi ces soldats sous le nombre accablĂŠs,
DomptĂŠs par la fatigue, ĂŠcrasĂŠs par la foudre,
Ces membres palpitans dispersĂŠs sur la poudre,
Ces cadavres amoncelĂŠs!
Eloignez de mes yeux ce monument funeste
De la fureur des nations;
Ă mort! Epargne ce qui reste!
Varus, rends-nous nos lĂŠgions!
Les coursiers frappĂŠs dâĂŠpouvante,
Les chefs et les soldats ĂŠpars,
Nos aigles et nos ĂŠtendards
SouillĂŠs dâune fange sanglante,
InsultĂŠs par les lĂŠopards,
Les blessĂŠs mourant sur les chars,
Tout se presse sans ordre, et la foule incertaine,
Qui se tourmente en vains efforts,
Sâagite, se heurte, se traĂŽne,
Et laisse après soi dans la plaine
Du sang, des dĂŠbris et des morts.
Parmi des tourbillons de flamme et de fumĂŠe,
Ă douleur, quel spectacle Ă mes yeux vient sâoffrir?
Le bataillon sacrĂŠ, seul devant une armĂŠe,
SâarrĂŞte pour mourir.
Câest en vain que, surpris dâune vertu si rare,
Les vainqueurs dans leurs mains retiennent le trĂŠpas.
Fier de le conquĂŠrir, il court, il sâen empare;
La garde, avait-il dit, meurt et ne se rend pas.
On dit quâen les voyant couchĂŠs sur la poussière,
Dâun respect douloureux frappĂŠ par tant dâexploits,
Lâennemi, lâoeil fixĂŠ sur leur face guerrière,
Les regarda sans peur pour la première fois.
Les voilĂ ces hĂŠros si long-temps invincibles!
Ils menacent encor les vainqueurs ĂŠtonnĂŠs!
GlacĂŠs par le trĂŠpas, que leurs yeux sont terribles!
Que de hauts faits ĂŠcrits sur leurs fronts sillonnĂŠs!
Ils ont bravĂŠ les feux du soleil dâItalie,
De la castille ils ont franchi les monts;
Et le nord les a vus marcher sur les glaçons
Dont lâĂŠternel rempart protĂŠge la Russie.
Ils avaient tout domptÊ⌠Le destin des combats
Leur devait, après tant de gloire,
Ce quâaux français naguère il ne refusait pas;
Le bonheur de mourir dans un jour de victoire.
Ah! Ne les pleurons pas! Sur leurs fronts triomphans
La palme de lâhonneur nâa pas ĂŠtĂŠ flĂŠtrie;
Pleurons sur nous, français, pleurons sur la patrie;
Lâorgueil et lâintĂŠrĂŞt divisent ses enfans.
Quel siècle en trahisons fut jamais plus fertile?
Lâamour du bien commun de tous les coeurs sâexile;
La timide amitiĂŠ nâa plus dâĂŠpanchemens;
On sâĂŠvite, on se craint; la foi nâa plus dâasile,
Et sâenfuit dâĂŠpouvante au bruit de nos sermens.
O vertige fatal! DĂŠplorables querelles
Qui livrent nos foyers au fer de lâĂŠtranger!
Le glaive Êtincelant dans nos mains infidèles,
Ensanglante le sein quâil devrait protĂŠger.
Lâennemi cependant renverse les murailles
De nos forts et de nos citĂŠs;
La foudre tonne encore, au mĂŠpris des traitĂŠs.
Lâincendie et les funĂŠrailles
Ăpouvantent encor nos hameaux dĂŠvastĂŠs;
Dâavides proconsuls dĂŠvorent nos provinces;
Et, sous lâĂŠcharpe blanche, ou sous les trois couleurs,
Les français, disputant pour le choix de leurs princes,
DĂŠtrĂ´nent des drapeaux et proscrivent des fleurs.
Des soldats de la Germanie
Jâai vu les coursiers vagabonds
Dans nos jardins pompeux errer sur les gazons,
Parmi ces demi-dieux quâenfanta le gĂŠnie.
Jâai vu des bataillons, des tentes et des chars,
Et lâappareil dâun camp dans le temple des arts.
Faut-il, muets tĂŠmoins, dĂŠvorer tant dâoutrages?
Faut-il que le français, lâolivier dans la main,
Reste insensible et froid comme ces dieux dâairain
Dont ils insultent les images?
Nous devons tous nos maux Ă ces divisions
Que nourrit notre intolĂŠrance.
Il est temps dâimmoler au bonheur de la France
Cet orgueil ombrageux de nos opinions.
Etouffons le flambeau des guerres intestines.
Soldats, le ciel prononce, il relève les lis;
Adoptez les couleurs du hĂŠros de Bovines,
En donnant une larme aux drapeaux dâAusterlitz.
France, rĂŠveille-toi! Quâun courroux unanime
Enfante des guerriers autour du souverain!
DivisĂŠs, dĂŠsarmĂŠs, le vainqueur nous opprime;
PrĂŠsentons-lui la paix, les armes Ă la main.
Et vous, peuples si fiers du trĂŠpas de nos braves,
Vous, les tĂŠmoins de notre deuil,
Ne croyez pas, dans votre orgueil,
Que, pour être vaincus, les français soient esclaves.
Gardez-vous dâirriter nos vengeurs Ă venir;
Peut-ĂŞtre que le ciel, lassĂŠ de nous punir,
Seconderait notre courage;
Et quâun autre Germanicus
Irait demander compte aux Germains dâun autre âge
De la dĂŠfaite de Varus.