ďťżLa chanson de Marthe aux pieds nus.
I
Marthe dès lâaube a quittĂŠ son aĂŻeule ;
Marthe aux pieds nus est au bois toute seule.
ďťżLes ailes vont le dire aux fleurs,
ďťżLe matin bleu rit sous les pleurs.
Le fils du roi, sans meute et sans cortĂŠge,
Suit la ravine oĂš lâacacia neige.
Ailes et fleurs sont en Êmoi :
ďťżMarthe est devant le fils du roi.
 Etes-vous fÊe, ou sainte ayant chapelle ?
â Non, monseigneur, câest Marthe quâon mâappelle. 
ÂŤÂ La fauvette, lâĹil en ĂŠveil,
Ăcoute et se lisse au soleil.
Marthe, aimez-moi, je sens que je vous aime.
â Oh ! monseigneur, vous en ririez vous-mĂŞme. 
La tĂŞte dâun lĂŠzard surgit,
La fraise dans lâherbe rougit.
 Croyez-vous donc mon amour ÊphÊmère ?
â Mon beau seigneur, jâen croirai ma grand-mère. 
La petite bĂŞte Ă bon Dieu
Vole et miroite, rouge et feu.
ÂŤÂ Quâun seul baiser, Marthe, ici nous engage !
â Mon cher seigneur, un seul, pas davantage ! 
Sur la source, au bord du sentier,
Sâeffeuille une fleur dâĂŠglantier.
 Marthe, à demain, au seuil de votre porte !
â Mon doux seigneur, le ciel vous fasse escorte ! 
Est-ce un rêve ? O les tendres voix,
Qui bercent lââme au fond des bois !
II
Le lendemain, et toute la semaine,
Marthe attendit ; son attente fut vaine.
Pourquoi les angĂŠlus du soir
Sont-ils si clairs, quand fuit lâespoir ?
Marthe attendit un mois, un mois encore,
Et sâĂŠveilla plus faible Ă chaque aurore.
Quâannoncent donc tous les matins
Les gais angÊlus argentins ?
Marthe isolÊe, abattue et pâlie,
Espère encor, mais sent que câest folie.
Lâautomne endort les horizons ;
Adieu les fleurs et les chansons !
Sur Marthe on jase, on chuchote, on sâexclame :
ÂŤÂ Est-ce dâamour que cet enfant perd lââme ? 
Lâhiver vient, lâhiver part ; soudain
Le lilas fleurit au jardin.
Les jeunes gens de toute la vallĂŠe
Vont visiter la belle dĂŠsolĂŠe.
Lâodeur des foins en fenaison
Embaume de loin la maison.
Aucun galant, pas mĂŞme le plus digne,
Du moindre accueil nâobtient le moindre signe.
Dans les rameaux du grand pommier,
Vole et se pose un blanc ramier.
Marthe se meurt ; une lueur Êtrange
Sous son front mat sâallume en ses yeux dâange.
Le crÊpuscule se fait gris ;
Tourne, tourne, chauve-souris !
III
Mais des forĂŞts soudain la brise apporte
Une fanfare et le bruit dâune escorte.
Voici briller le soleil dâor ;
Alouette, prends ton essor !
Sous le galop des chevaux le sol sonne
Le noble prince apparaĂŽt en personne.
Dans les rouges coquelicots,
Chante un coq, droit sur ses ergots.
Le noble prince au logis se prÊsente ;
Il entre, il court : Marthe est agonisante.
Sur le lis, que pendant la nuit
Le vent brisa, tout le ciel luit.
ÂŤÂ Chère âme, dit lâamant qui dĂŠsespère,
Jâai donc trop tard flĂŠchi le roi mon père ! 
Une cloche tinte là -bas ;
Est-ce la noce, est-ce le glas ?
Marthe sourit :  Puisque je meurs, dit-elle,
 Marions-nous pour la vie immortelle ! 
Azurs, rayons, brises, parfums,
Ranimez les beaux jours dÊfunts !
Le fiancĂŠ couronne lâenfant blĂŞme
Des diamants du royal diadème.
Brises, rayons, parfums, azur,
Rendez lââme pure au ciel pur !
Le jour sâĂŠteint, la mort ĂŠtend ses voiles ;
Aux diamants se mĂŞlent les ĂŠtoiles.
Des rameaux du pommier tremblant
Sâest envolĂŠ le ramier blanc.