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La Charlotte prie Notre-Dame durant la nuit du Réveillon
Dans ‘La Charlotte prie Notre-Dame durant la nuit du Réveillon’, Jehan Rictus nous plonge dans l’univers melancholique et déchirant d’une femme en quête de rédemption. Ce poème, écrit au début du 20ᵉ siècle, reflète les luttes sociales et les préoccupations spirituelles de l’époque. En opposant la ferveur religieuse aux réalités crues de la vie urbaine, le poème reste d’une actualité poignante. Laissez-vous transporter par la voix de Charlotte qui s’adresse à la Vierge Marie dans un mélange de désespoir et d’espoir.
Seigneur J√©sus, je pense √Ý vous ! √áa m‚Äô prend comm‚Äô √ßa, gn‚Äôy a pas d‚Äôoffense ! J‚Äô suis mort‚Äô de foid, j‚Äô me quiens pus d‚Äôbout, ce soir encor… j‚Äôai pas eu d‚Äô chance Ce soir, pardi ! c‚Äôest R√©veillon : On n‚Äô voit passer qu‚Äô des rigoleurs ; j‚Äô gueul‚Äôrais ¬´ au feu ¬ª ou ¬´ au voleur ¬ª, qu‚Äô personne il y f‚Äôrait attention. Et vous aussi, Vierge Marie, Sainte-Vierge, M√®re de Dieu, qui pourriez croir‚Äô que j‚Äô vous oublie, ayez piti√© du haut des cieux. J‚Äô suis l√Ý, Saint‚Äô-Vierge, √Ý mon coin d‚Äô rue o√π d‚Äôpis l‚Äôap√©ro, j‚Äô bats la semelle ; j‚Äô suis qu‚Äôeune ordur‚Äô, qu‚Äôeun‚Äô fill‚Äô perdue, c‚Äôest la Charlotte qu‚Äôon m‚Äôappelle. S√ªr qu‚Äôavant d‚Äô vous causer preumi√®re, eun‚Äô femm‚Äô qu‚Äô est pus bas que l‚Äô ruisseau devrait conobrer ses pri√®res, mais y m‚Äôen r‚Äôvient qu‚Äô des p‚Äôtits morceaux. Vierge Marie… pleine de gr√¢ce… j‚Äô suis fauch√©e √Ý mort, vous savez ; mes pognets, c‚Äôest pus qu‚Äôeun‚Äô crevasse et me v‚Äôl√Ý ce soir su‚Äô l‚Äô pav√©. Si j‚Äôentrais m‚Äô chauffer √Ý l‚Äô√©glise, on m‚Äô foutrait dehors, c‚Äôest couru ; √ßa s‚Äô voit trop que j‚Äô suis fill‚Äô soumise… (oh ! mand‚Äô pardon, j‚Äô viens d‚Äô dir‚Äô ¬´ foutu. ¬ª) T‚Äônez, z‚Äôyeutez, c‚Äôest la Saint-Poivrot ; tout flamb‚Äô, tout chahut‚Äô, tout reluit… les restaurants et les bistrots y z‚Äôont la permission d‚Äô la nuit. Tout chacun n‚Äô pens‚Äô qu‚Äô√Ý croustiller. Y a plein d‚Äô mond‚Äô dans les r√¥tiss‚Äôries, les √©pic‚Äômards, les charcut‚Äôries, et √ßa sent bon l‚Äô boudin grill√©. √áa m‚Äô fait gazouiller les bo√Øaux ! Brrr ! √Ý pr√©sent J√©sus est n√©. Dans les temps, quand c‚Äôest arriv√©, s‚Äô y g‚Äôlait comme y g√®le c‚Äôte nuit, su‚Äô la paill‚Äôde vot‚Äô √©curie v‚Äôs z‚Äôavez rien d√ª avoir frio, J√©sus et vous, Vierge Marie. Bing !… on m‚Äô bouscule avec des litres, des pains d‚Äô quatr‚Äô livr‚Äôs, des assiett‚Äôs d‚Äôhu√Ætres, Non, r‚Äôgardez-moi tous ces salauds ! (Oh ! esscusez, Vierge Marie, j‚Äô crois qu‚Äô j‚Äôai cor dit un vilain mot !) N‚Äôest-c‚Äô pas que vous √™t‚Äôs pas f√¢ch√©e qu‚Äôeun‚Äô fill‚Äô d‚Äôamour plein‚Äô de p√©ch√©s vous caus‚Äô ce soir √Ý sa magn√®re pour vous esspliquer ses mis√®res ? Dit‚Äôs-moi que vous √™t‚Äôs pas f√¢ch√©e ! C‚Äôest vrai que j‚Äôai quitt√© d‚Äô chez nous, mais c‚Äô√©tait qu‚Äô la d√®che et les coups, la doche √Ý crans, l‚Äô d√¢b toujours saoul, les frangin‚Äôs d√©j√Ý affranchies…. (C‚Äô√©tait h‚Äôun vrai enfer, Saint‚Äô-Vierge ; soit dit sans √™te eune effront√©e, vous-m√™me y seriez pas rest√©e.) C‚Äôest vrai que j‚Äôai plaqu√© l‚Äô turbin. Mais l‚Äôouvri√®r‚Äô gagn‚Äô pas son pain ; quoi qu‚Äôa fasse, elle est mal pay√©e, a n‚Äô fait m√™m‚Äô pas pour son loyer ; √Ý la fin, quoi, √ßa d√©courage, on n‚Äôa pus de c≈ìur √Ý l‚Äôouvrage, ni le caract√®re ouvrier. J‚Äô dois dire encor, Vierge Marie ! que j‚Äôai aim√© sans permission mon p‚Äôtit… ¬´ mon b√©guin… ¬ª un voyou, qu‚Äô est en c‚Äô moment en Alg√©rie, rapport √Ý ses condamnations. (Mais quand on a trinqu√© tout gosse, on a toujours besoin d‚Äô caresses, on se meurt d‚Äôamour tout‚Äô sa vie : on s‚Äôarr‚Äôfait pas que voulez-vous !) Pourtant j‚Äôy suis encore fid√®le, malgr√© les aut‚Äôs qui m‚Äô cour‚Äônt apr√®s. Y a l‚Äô grand Jul‚Äôs qui veut pas m‚Äô laisser, faudrait qu‚Äôavec lui j‚Äô me marie, histoir‚Äô comme on dit, d‚Äô l‚Äôengraisser. Ben, jusqu‚Äô√Ý pr√©sent, y a rien d‚Äô fait ; j‚Äôai pas voulu, Vierge Marie ! Enfin, je suis d√©ringol√©e, souvent on m‚Äôa mise √Ý l‚Äôhosto, et j‚Äô m‚Äôai tant battue et so√ªl√©e, que j‚Äôen suis plein‚Äô de coups d‚Äô couteau. Bref, je suis pus qu‚Äôeun‚Äô salop‚Äôrie, un vrai fumier Vierge Marie ! (Seul‚Äôment, quoi qu‚Äôon fasse ou qu‚Äôon dise pour essayer d‚Äô se bien conduire, y a qu√®qu‚Äô chos‚Äô qu‚Äô est pus fort que vous.) Eh ! ben, c‚Äôest pas des boniments, j‚Äô vous l‚Äô jure, c‚Äôest vrai, Vierge Marie ! Malgr√© comm‚Äô √ßa qu‚Äô j‚Äôaye fait la vie, j‚Äôai pens√© √Ý vous ben souvent. Et ce soir encor √ßa m‚Äô rappelle un temps, qui jamais n‚Äôarr‚Äôviendra, ousque j‚Äôallais √Ý vot‚Äô chapelle les mois que c‚Äô√©tait votre f√™te. J‚Äôarr‚Äôvois vot‚Äô bell‚Äô rob‚Äô bleue, vot‚Äô voile, (m√™m‚Äô qu‚Äôil √©tait piqu√© d‚Äô√©toiles), vot‚Äô bell‚Äô couronn‚Äô d‚Äôor su‚Äô la t√™te et votre tr√©sor su‚Äô les bras. Pour s√ªr que vous √©tiez jolie comme eun‚Äô reine, comme un miroir, et c‚Äôest vrai que j‚Äô vous r‚Äôvois ce soir avec mes z‚Äôyeux de gosseline ; c‚Äôest comm‚Äô si que j‚Äôy √©tais… parole. Seul‚Äôment, c‚Äôest pus comme √Ý l‚Äô√©cole ; ces pauv‚Äôs callots, ce soir, Madame, y sont rougis et pleins de larmes. Aussi, si vous vouliez, Saint‚Äô-Vierge, fair‚Äô ce soir quelque chos‚Äô pour moi, en vous rapp‚Äôlant de ce temps-l√Ý, ousque j‚Äô√©tais pas eune impie ; vous n‚Äôavez qu‚Äô√Ý l‚Äôver un p‚Äôtit doigt et n‚Äô pas vous occuper du reste…. J‚Äô vous d‚Äômand‚Äô pas des chos‚Äôs… pas honn√™tes ! Fait‚Äôs seul‚Äôment que j‚Äô trouve et ramasse un port‚Äô-monnaie avec galette perdu par un d‚Äô ces muf‚Äôs qui passent (√Ý moi put√¥t qu‚Äôau balayeur !) Un port‚Äô-lazagn‚Äô, Vierge Marie ! gn‚Äôy aurait-y d‚Äôdans qu‚Äôun larantqu√©, √ßa m‚Äôaid‚Äôrait pour m‚Äôaller planquer √ßa m‚Äô permettrait d‚Äôattendre √Ý d‚Äômain et d‚Äô m‚Äôenfoncer dix ronds d‚Äô boudin ! Ou alorss, si vous pouez pas ou voulez pas, Vierge Marie… vous allez m‚Äô trouver ben hardie, mais… fait‚Äôs-moi de suit‚Äô sauter l‚Äô pas ! Et pis… emm‚Äônez-moi avec vous, prenez-moi dans le Paradis ousqu‚Äôy fait chaud, ousqu‚Äôy fait doux, o√π pus jamais je f‚Äôrai la vie, (sauf mon p‚Äôtit, dont j‚Äô suis pas gu√©rie, vous pensez qu‚Äô je n‚Äôarr‚Äôgrett‚Äôrai rien d‚Äô Saint-Lago, d‚Äô la Tour, des m√©d‚Äôcins, des barbots et des argousins !) Ah ! emm‚Äônez-moi, dit‚Äôs, emm‚Äônez-moi avant que la nuit soye pass√©e et que j‚Äô soye encor ramass√©e ; Saint‚Äô-Vierge, emm‚Äônez-moi, j‚Äô vous en prie ? Je n‚Äôen peux pus de grelotter… t‚Äônez… allumez mes mains gerc√©es et mes p‚Äôtits souliers d√©couverts ; j‚Äô n‚Äôai toujours qu‚Äô mon costume d‚Äô√©t√© qu‚Äô j‚Äôai fait teindre en noir pour l‚Äôhiver. Voui, emm‚Äônez-moi, dit‚Äôs, emm‚Äônez-moi. Et comme y doit gn‚Äôy avoir du ch‚Äômin si des fois vous vous sentiez lasse Vierge Marie, pleine de gr√¢ce, de porter √Ý bras not‚Äô Seigneur, (un enfant, c‚Äôest lourd √Ý la fin), Vous me l‚Äô repass‚Äôrez un moment, et moi, je l‚Äô port‚Äôrai √Ý mon tour, (sans le laisser tomber par terre), comm‚Äô je faisais chez mes parents La p‚Äôtit‚Äô moman dans les faubourgs quand j‚Äô trimballais mes petits fr√®res.
L’œuvre de Jehan Rictus résonne toujours avec force face aux injustices sociales. Ce poème nous invite à réfléchir sur la condition humaine et le besoin universel de consolation. N’hésitez pas à explorer d’autres écrits de cet auteur pour découvrir d’autres facettes de sa plume engagée.