La Dernière Lueur des Mûres Sauvages
Un village se meurt, de brume enveloppé.
Les pierres y pleurent des légendes perdues,
Et les toits affaissés, courbés sous les nues,
Gardent dans leurs fentes l’écho d’un adieu
Qu’une femme, à l’aube, chuchota vers Dieu.
Elle marche sans bruit, ombre parmi les ombres,
Ses pas effleurant les pavés ivres de sombres.
Ses yeux sont deux lacs où dort l’hiver,
Profonds et glacés, miroirs du désert.
On dit qu’elle écoute, au bord des fontaines,
Les murmures éteints des douleurs anciennes.
Son nom ? Un soupir que le vent a volé.
Son cœur ? Un coffret aux clés ensevelies.
Chaque matin, elle tresse ses cheveux de nuit,
Et fixe au lointain un horizon détruit,
Où jadis dansaient, sous la lune argentée,
Les promesses d’un amour jamais contenté.
Un homme passa, un soir de grand vent,
Porteur de silences et de serments mouvants.
Il offrit des mots plus doux que la cire,
Et des serments peints sur des cieux de suie.
Mais le destin, friand de cruels quiproquos,
L’arracha soudain au seuil des hameaux.
Elle attendit. Les saisons défilèrent,
Gravant leurs cycles sur ses mains meurtries.
Les lilas fanés composèrent son lit,
Et les lettres jaunies, lues à l’infini,
Devinrent les pierres d’un tombeau vivant
Où chaque espoir mourut en se défaisant.
Un jour, un étranger vint frapper aux portes,
Apportant avec lui la clé des mortes.
Dans ses mains tremblait un pli scellé,
Gonflé de secrets trop longtemps cachés.
« Il est parti, disait l’encre pâlie,
Avec, dans les yeux, votre ombre chérie.
La guerre l’a pris sur un champ sans gloire,
Mais son dernier souffle parla de vos mémoires. »
Trop tard. Les mots tombèrent comme grêle,
Transperçant le voile des heures parallèles.
Elle lut, et le monde vacilla soudain,
Emportant avec lui les rêves éteints.
L’amour avait fui par la fente obscure,
Laissant pour seul legs une meurtrissure.
Elle courut, folle, vers le vieux moulin,
Où jadis brûlait un feu pur et vilain.
Là, dans un tiroir rougi par les ans,
Gisait un collier aux perles de sang.
« Prends-le, » disait la lettre au parfum de menthe,
« Et pardonne au temps sa marche lente. »
Mais le pardon est une île sans rives,
Où n’aborde jamais l’esquif des convives.
Elle serra les perles contre son sein nu,
Cherchant en vain la chaleur disparue.
La nuit tomba, lourde de cris étouffés,
Tandis qu’elle errait parmi les café
Des ruelles tortueuses, hantées de fantômes,
Appelant en vain un visage enchaîné d’atomes.
La lune, témoin des douleurs tues,
Cousit un linceul de pâles statues.
Et quand vint l’heure où les coqs se taisent,
Son corps frêle glissa dans les herbes braises.
On la trouva au petit jour,
Souriant enfin à l’éternel séjour.
Dans sa main close, un mot froissé :
« L’amour ne meurt pas ; il est remplacé
Par l’ombre d’un rêve au goût de cendre,
Que nul ne peut saisir ni comprendre. »
Le village pleura des larmes de granit,
Et le vent chanta l’hymne des maudits.
Depuis, quand la brume enrobe les tertres,
Une voix murmure près des fenêtres :
« Je suis celle qui attendit en vain
L’aube d’un matin déjà parti. »
Les mûres sauvages, rougies de tristesse,
Ont gardé le pli de sa dernière caresse.
Et chaque automne, quand meurent les roses,
Le secret renaît sous les mousses closes,
Rappelant aux vivants, éphémères et vains,
Que les destins brisés sont les plus humains.
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