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La Fabrique des Nuages

La Petite Porte sous les Tuiles

La Petite Porte sous les Tuiles

Le village semblait tenir sa respiration au-dessus des toits de pierre, comme si chaque ardoise retenait un soupir. Maya, onze ans, était allongée sur le plancher du grenier de sa grand-mère, la tresse battant son épaule, les doigts encore tachés de laine. Elle explorait toujours les recoins où les adultes n’osaient plus fouiller. Ce jour-là, un rayon de soleil s’était faufilé entre deux tuiles et avait dessiné sur la poussière une lueur timide, pointant une petite porte qu’elle n’avait jamais remarquée.

— Grand-mère, dit-elle en appelant sans bruit, viens voir, il y a une porte ici.

La vieille femme, assise dans son fauteuil près de la fenêtre, leva à peine les yeux. Son visage était un album de plis tendres, et sa voix, douce comme du pain, répondit :

— Patiente, ma petite. Demain peut-être. Mais si tu veux, ouvre-la seule, et rapporte-moi ce que tu trouves.

Maya posa la main sur la petite poignée froide. Elle s’attendait à du noir, à des vieux chiffons, à des souvenirs oubliés. La porte s’ouvrit sur un couloir étroit parfumé d’une odeur claire, un mélange de pluie fraîche et de laine propre. Une marche, puis une seconde, et devant elle apparut un vaste atelier éclairé d’une lumière douce qui semblait venir de nulle part.

Au milieu de l’atelier, des métiers à tisser se dressaient, mais pas comme ceux des tissus : leurs fils étaient de brume, leurs navettes chantaient des murmures, et des pelotes flottaient comme des bulles. De grands sacs étiquetés par des mots que Maya reconnut immédiatement — rire, peine, colère — se répandaient en volutes qui attendaient d’être filées.

Un minuscule bruit de pas la fit sursauter. Un chat blanc, presque entièrement fait de duvet, se glissa entre ses jambes et frotta sa tête contre sa main. Ses yeux étaient couleur ciel, et sa queue s’effilochait en un panache de vapeur.

— Bonjour, fit une voix bourrue derrière elle.

Un vieil homme aux cheveux argentés, portant un manteau aux poches pleines de bobines et d’aiguilles, l’observait comme on regarde une étoile qu’on a cru perdue.

— On t’appelle rarement ici, dit-il, mais quand une porte s’ouvre c’est qu’un vent nouveau veut entrer. Moi, je suis Orson, maître nuagiste. Et toi ?

Maya sentit son cœur battre fort. Elle se présenta, balbutiante, tandis que le chat, espiègle, bondissait sur une pelote et la faisait rouler vers elle comme pour sceller une invitation.

Ce lieu n’était pas un atelier ordinaire : il tissait les nuages avec des émotions. Maya n’en comprenait pas encore la portée, mais déjà l’émerveillement creusait en elle une curiosité lumineuse, promettant que sa vie allait changer.

Les Filaments des Rires

Les Filaments des Rires

L’atelier paraissait vivant. Des fils de vapeur s’étiraient comme des voix, et quand Orson les caressait, ils répondaient en produisant des textures : certains se tordaient en boucles moelleuses, d’autres s’allongeaient en bandes translucides. Maya observa le maître avec avidité. Flocon, le chat-duvet, gambadait entre les métiers et jouait avec les pelotes comme un chef d’orchestre discret.

— Que font ces fils ? demanda Maya en tendant la main sans oser toucher.

Orson sourit d’un air bourru mais tendre.

— Ils prennent forme lorsqu’on leur donne un nom, expliqua-t-il. Le rire, par exemple, devient coussins de lumière. Viens, je vais te montrer.

Il guida Maya vers un bac translucide où nageaient des éclats de joie. Orson prit une petite navette et, en articulant lentement, dit un mot que Maya n’entendit qu’avec son cœur. Le fil s’enroula, se gonfla, puis se coucha en volutes douces qui, en touchant l’air, se transformèrent en nuages rieurs qui rebondissaient comme des coussins.

— Sens-les, dit Lina en apparaissant au seuil, essoufflée, le carnet serré contre sa poitrine. Elle connaissait Maya depuis toujours, et son visage roux éclairait l’atelier comme un fanal.

Maya posa sa paume sur une volute. Une chaleur légère traversa sa main, et elle sentit une mémoire de jeux, de gloussements partagés, comme si chaque rire jamais entendu se pressait pour la réchauffer.

— Les rires ne s’épuisent jamais, précisa Orson. Ils se métamorphosent. Mais ils ont besoin qu’on sache les reconnaître. Si l’on cache une joie, le fil faiblit et devient pâle.

Flocon fit un saut acrobatique et fit rouler un nuage-rire vers Lina. Elle éclata d’un petit rire franc qui devint, sous leurs yeux, une couronne de plumes lumineuses.

Maya sentit monter en elle une envie irrésistible : apprendre à nommer chaque nuance. Elle pensait à la petite cicatrice sur son menton, au jour où elle avait pleuré toute seule derrière la remise parce qu’un camarade l’avait blessée à la course. Elle n’avait jamais dit ce nom-là à voix haute. Peut-on tisser la tristesse, se demanda-t-elle ?

Avant qu’elle n’ose répondre, Orson posa la navette sur la table et regarda Maya avec des yeux emplis de patience.

— Nous n’oublions jamais d’où viennent les fils, dit-il doucement. Mais nous pouvons les transformer ensemble.

Ce soir-là, Maya s’endormit avec la vision des coussins de lumière et la certitude qu’apprendre à nommer serait la première étape d’un long voyage.

Les Pluies de Peine

Les Pluies de Peine

Le lendemain, Maya demanda à Orson de lui apprendre la façon de tisser la tristesse. Elle avait peur de prononcer ce mot, comme si le nom pouvait l’appeler. Orson la regarda longtemps, puis, sans autre commentaire, il lui montra un bac sombre où nageaient des larmes épaisses, bleues comme des pierres mouillées.

— Les peines ne sont pas des fautes, dit Orson. Elles sont des eaux. Si l’on les retient, elles stagnent et s’aigrissent. Si l’on les verse, elles arrosent.

Maya sentit une boule dans sa gorge. Elle pensa à la fois où elle n’avait pas osé dire qu’elle se sentait seule après une dispute avec sa meilleure amie. Elle posa la main sur la surface humide et chuchota le mot : peine. Le fil qui en sortit coula en rubans odorants, lourds et doux. Orson guida ses doigts ; elle apprit à arranger la navette pour que le fil s’ouvrit comme une fleur d’eau.

— Regarde, dit Lina en notant frénétiquement dans son carnet, chaque nuage de peine devient pluie quand on sait le nommer. C’est la manière dont le monde s’apaise.

Ils firent tomber une pluie douce sur une maquette du village. Les gouttes nourrirent des jardins miniatures, gonflèrent des ruisseaux, et lavèrent la poussière des fenêtres. Maya comprit que la tristesse, bien disposée, pouvait servir la vie.

Flocon, perché sur une poutre, observait avec des yeux de ciel. Il poussa un petit miaulement, comme pour rappeler que la tristesse mérite attention, pas honte.

— Quand tu acceptes ta peine, expliqua Orson, elle devient une pluie qui nettoie. Mais si tu l’entasses, elle devient orage, et personne n’écoute plus rien.

Maya sentit son coffre intérieur s’ouvrir. Elle pensa à sa grand-mère qui, parfois, regardait par la fenêtre sans parler. Elle voulut lui offrir cette pluie-là, parler de ce nuage qui pesait sur son cœur. Le mot « peine » ne semblait plus effrayant ; il était une clef.

Apprendre à laisser couler ne signifiait pas faiblesse, mais sagesse — une porte ouverte pour que d’autres puissent entrer et aider. Le soir venu, Maya s’assit près de la fenêtre, observant la pluie fictive qui avait rendu la maquette plus verte, et comprit qu’elle désirait apprendre tous les fils, pour pouvoir un jour tisser pour son village.

Lina nota dans son carnet : nommer, toujours nommer. Et Flocon, ronronnant, semblait approuver.

Les Rafales de Colère

Les Rafales de Colère

La colère prit la forme d’un vent brusque. Lorsque Maya arrêta un fil marqué colère, il vibra comme une corde tendue, prêt à claquer. Orson posa la main sur son épaule.

— La colère a du travail, dit-il. Elle veut être entendue et parfois elle s’exprime en rafales pour débarrasser ce qui étouffe. Mais mal canalisée, elle blesse.

Maya ferma les yeux et pensa à l’injustice : l’instituteur qui avait oublié un devoir important, le camarade qui avait volé un dessin. Son cœur chauffa. Le fil de colère se tendit, s’enroula en spirale, puis s’échappa comme une bourrasque. Orson à l’aide de larges aiguilles guida l’ourlet de la rafale pour qu’elle se tourne en une langue de vent utile, capable de déraciner une pierre ou d’écarter une branche morte.

Lina, curieuse, voulut tester et donna une petite poussée pour provoquer une bourrasque. Le nuage de colère hurla et, au lieu de blesser, il souffla les feuilles fanées d’un chêne miniature, permettant à la jeune pousse de respirer.

— La colère, expliqua Orson, n’est pas un monstre mais une force. Si l’on sait la tresser, elle devient outil.

Maya se surprit à sentir de la gratitude pour ce vent. Elle se rappela cette fois où elle avait retenu sa colère et avait laissé quelqu’un continuer à marcher sur ses idées. Elle réalisa que nier la colère revenait à refuser un coup de bêche nécessaire pour ameublir la terre.

Flocon bondit au milieu d’un tourbillon léger, et son duvet s’éparpilla en volutes qui captaient les arêtes du vent, les adoucissant. Maya rit, un rire qui contenait une pointe de défi, et comprit que chaque émotion pouvait être façonnée pour aider.

Cette journée leur enseigna la délicatesse de l’usage : nommer la colère pour lui donner un rôle, pour qu’elle ne détruise pas mais qu’elle transforme.

En rentrant, Maya se surprit à imaginer des rafales qui balaieraient les peurs inutiles du village. Elle avait le goût de tisser, d’offrir à ses voisins des vents qui nettoyaient plutôt que des tempêtes qui ravageaient.

La Sécheresse des Cœurs

La Sécheresse des Cœurs

Les jours suivants, un étrange malaise parcourut le village. Les gens parlaient à peine, les rires devinrent rares, et, plus inquiétant, certains ne savaient plus nommer ce qu’ils ressentaient. Sur la place, les enfants se regardaient sans échanger, comme si un voile effaçait les mots.

Maya, Lina et Flocon observèrent, inquiets. Orson fronça les sourcils derrière ses lunettes de travers.

— Les nuages disparaissent, murmura-t-il. Quand le fil n’est plus alimenté par la parole, le ciel s’éteint.

Ils allèrent au toit du village et virent, comme une plaie, des pans de ciel plus clair où les nuages semblaient se dissoudre. Les artisans se retrouvaient muets face à leurs œuvres, les voisins ne savaient plus exprimer la colère de façon constructive, ni la tristesse pour demander aide.

— Pourquoi oublierait-on de dire ? demanda Maya, la gorge serrée.

— Parfois, répondit Orson, la peur du jugement ou l’habitude du silence et de la fuite sèchent les sources. Sans paroles, les fils se cassent.

Maya sentit que la Fabrique elle-même souffrait. Des étagères étaient vides, des bobines pâlissaient. Elle toucha une corde : elle n’offrit que poussière. Un vertige d’impuissance la prit. Comment convaincre un village entier de retrouver des mots perdus ?

Lina, décidée, proposa d’organiser un atelier ouvert. — Nous irons place Saint-Jean, dit-elle. Nous montrerons comment nommer une émotion avec une pelote. Si les gens touchent, ils retrouveront peut-être la langue de leurs cœurs.

Orson hésita, puis hocha la tête. — La création collective est toujours un remède, dit-il. Mais il faudra courage et patience. Et tu, Maya, tu devras apprendre à montrer tes propres nuages.

Cette phrase frappa Maya comme un engloutissement doux : elle dut oser exposer ses peines et ses joies pour que d’autres sachent comment faire. Elle accepta, bien que son cœur fût tremblant. La sécheresse des humeurs n’était pas seulement un mystère ; c’était une urgence qui réclamait la voix de chacun.

Ils se mirent en marche pour semer des fils, convaincus que le village pouvait se souvenir.

La Place des Mots

La Place des Mots

La place Saint-Jean devint un atelier à ciel ouvert. Ils disposèrent métiers et pelotes, invitant chacun à toucher un fil, à chuchoter un nom. Les nuages, timides, commencèrent à naître lorsque quelqu’un osa dire « tristesse », « honte », « joie ». Les mots, comme des graines, gonflaient les fils et les ramenaient à la vie.

Au début, les habitants se rassemblaient à distance. Puis, peu à peu, une vieille marchande posa sa main sur un nuage-petite peine et versa une pluie fine qui fit rougir ses yeux. Un jeune cultivateur reconnut une colère ancienne et la transforma en une brise qui déracina les ronces autour d’un chemin. Les enfants, se souvenant de leurs jeux, tissèrent des coussins de rire qu’ils partagèrent en se lançant des plumes.

Maya s’avança, tremblante. Elle prit une bobine qui respirait encore faiblement. — J’ai peur, commença-t-elle, et ce mot fit vibrer le fil.

Une femme près d’elle prit sa main. — Moi aussi, chuchota-t-elle. Ensemble, nous tisserons.

Les nuages ainsi créés s’envolaient au-dessus de la place, et le village sembla retenir un souffle d’aise. Chaque fil nommé se transformait en un service : rires qui amortissaient les chutes, pluies qui arrosaient les coeurs secs, vents qui dégageaient les routes intérieures. Lina dessinait frénétiquement, éblouie par la chorégraphie des émotions.

— C’est la puissance du partage, dit Orson, les mains dans les poches, mais avec des yeux très doux. Quand un sentiment est dit, il cesse d’être un monstre isolé ; il devient matière à travailler.

Flocon se glissa entre les jambes des enfants, semant des petits nuages moelleux qui faisaient éclater des rires. Maya sentit, pour la première fois, que sa voix avait du poids. Elle n’était plus seulement une jeune fille qui devait apprendre : elle participait à la guérison.

La place exhalait une chaleur nouvelle. Les murs du village semblaient écouter. Et les nuages, nourris par les mots, revenaient pour peindre le ciel.

Ce soir-là, Maya sut que l’artifice le plus précieux était simple : dire, ensemble, pour que le monde reprenne souffle.

Les Épreuves du Fil

Les Épreuves du Fil

La guérison n’était pas linéaire. Tandis que les nuages revenaient, des fils se rompaient parfois au métier, des émotion mal nommées donnaient des nuages déformés : des rires trop forcés éclataient en éclats vides, des colères mal dirigées créaient des rafales qui faisaient tomber des enseignes. Orson expliqua à Maya que la maîtrise venait de l’attention, de l’écoute et d’une patience inépuisable.

— Il faut savoir arrêter, dit-il en montrant une navette qui vibrait. Et demander aide. Tresser seul mène à des nœuds.

Maya dut l’apprendre à la dure. Un soir, pressée d’aider une voisine, elle voulut tisser la tristesse trop vite. Le cordon se noua. Le nuage éclata en pluie acide qui effraya la vieille femme. Maya, honteuse, se cacha et sentit ses mains trembler.

Lina la trouva en pleurs derrière une charrette.

— Tu n’as rien cassé de grave, dit Lina, mais tu as besoin de nous. Nous sommes une équipe, rappela-t-elle. Même Orson fait des erreurs.

Ils revinrent ensemble à l’atelier. Orson leur enseigna une méthode que saître-apprend-on en tissant lentement, en nommant chaque intention. Ils réparèrent le nuage en le laissant sécher, en y ajoutant du rire sincère et une brise apaisante. Le nuage redevint doux et finit par tomber sous forme d’une pluie tiède qui calma la voisine.

— Les erreurs ne sont pas des fautes irréparables, dit Orson. Elles sont des leçons qui apprennent la prudence et la solidarité.

Maya comprit que montrer sa maladresse faisait partie du processus. Elle dit sa honte à voix haute, et la confessant elle diminua son poids. Les autres partageaient leurs maladresses et, ensemble, ils devinrent plus habiles.

La Fabrique reprenait souffle, non parce que tout était parfait, mais parce que chacun acceptait d’apprendre à côté des autres.

Flocon, qui avait observé la scène avec malice, sauta sur l’épaule d’Orson comme pour sceller l’idée : la création collective guérissait mieux que l’orgueil solitaire.

Le Grand Vent de Réticence

Le Grand Vent de Réticence

Alors que la Fabrique retrouvait vigueur, une résistance subtile se manifesta : certains habitants craignaient que montrer des émotions ne les rende faibles. Une rumeur parcourut le village — il faut être solide, disait-on — et cette idée forma un grand vent de réticence qui souffla vers l’atelier.

Maya sentit l’atelier vaciller. Des visiteurs venaient, mais repartissaient vite, inquiets de paraître fragiles. Orson, las, marmonna :

— La peur du jugement est un brouillard épais. Il nous faudra un geste fort pour le dissiper.

Maya proposa alors une journée de « tissage partagé » où chacun pourrait apporter un objet symbolique. — Nous allons montrer que les émotions servent à bâtir, pas à briser, dit-elle. Même si c’est difficile, nous ferons ensemble.

Ils organisèrent la place en espaces où l’on transformait objets et émotions. Un forgeron amena un vieux fer retors et le changea en nuage-portail qui permit aux enfants de traverser sans peur. Une institutrice confia sa fatigue et la transforma en un rideau de brume qui calmait les esprits avant la classe.

La réticence se heurta à l’évidence de l’utilité. Les résistants virent leurs voisins tisser des solutions concrètes : la colère devint vent pour déraciner une souche gênante, la tristesse arrogea une fontaine renaissante. Peu à peu, le vent de refus céda face aux résultats visibles.

— Il ne s’agit pas d’abandonner sa force, expliqua Lina en dessinant, mais bien de la diriger. Et montrer sa peine n’enlève rien à la valeur d’une personne.

Maya sentit la fierté grandir, non pas comme un mur mais comme un pont. Elle osa s’approcher d’un homme qui deux jours plus tôt avait refusé de parler. — Que ressens-tu ? demanda-t-elle simplement.

Il baissa les yeux, puis murmura : — J’ai peur de décevoir. Et quand il prononça ce mot, un fil pâle s’éleva et devint un nuage transparent qui porta son regard vers l’horizon.

Le geste de dire ramena la confiance ; la communauté apprit que la vulnérabilité était une force partagée.

Les Nuages Retrouvés

Les Nuages Retrouvés

La Fabrique vrombit d’une activité nouvelle. Les nuages se multipliaient, plus variés, plus précis, chacun reflétant un mot prononcé, une confidence offerte. Le ciel retrouvait sa texture, comme si on avait cousu des patchworks d’émotions pour recomposer la toile du monde.

Un matin, les villageois se réunirent au sommet de la colline pour un grand lâcher : ils déposèrent leurs nuages en un rituel de partage. Les coussins de rire se posèrent comme des lampions, les pluies de peine tombèrent en pluie douce qui nourrit les champs, et les rafales de colère allèrent dégager un ancien chemin bloqué par des branches mortes.

Maya regardait, émue. Elle avait peur, encore, mais aussi une confiance profonde. Orson lui prit la main, et elle sentit la force contenue dans l’expérience partagée.

— Tu as bien tissé, dit-il sobrement. Tu as appris à nommer, à écouter et à laisser faire les autres.

Un enfant courut vers Maya, les yeux brillants. — Tu as sauvé nos nuages, dit-il, sans fioriture, seulement gratitude. Maya sentit une chaleur immense qui n’était pas son propre mérite mais le reflet d’une communauté entière.

Flocon se percha sur une boule de brume, et sa queue effilée traça des arabesques dans l’air. Lina, le carnet fermé cette fois, serra la main de Maya.

En regardant le village, Maya comprit que ce qu’ils avaient fabriqué ensemble était plus que des nuages : c’était une langue retrouvée, une manière de vivre avec ses émotions et d’en faire des instruments de soin.

Le vent portait maintenant des chansons, et les habitants savaient remercier, demander, avertir et consoler. Les silences n’étaient plus des prisons mais des pauses choisies. Maya ressentit une paix profonde, non pas d’inaction, mais d’accomplissement.

La Fabrique des Nuages n’était pas un simple atelier ; elle était devenue le cœur palpitant d’un village qui apprenait à se parler.

Tisser pour Demain

Tisser pour Demain

Les saisons continuèrent de tourner, et la Fabrique des Nuages prit racine. On venait de loin pour apprendre à nommer et à tisser. Maya, désormais plus assurée, enseignait aux enfants les premières étapes : comment respirer avant de dire, comment tresser un fil sans le brusquer, comment écouter le silence qui suit. Elle avait grandi, non seulement dans ses mains habiles, mais dans son courage d’exprimer, d’accueillir et de partager.

— Rappelle-toi, disait-elle souvent, le mot que tu prononces est une lumière que tu poses. Tu n’es pas seul avec ta peur, ta joie ou ta colère. Quand tu la dis, elle devient un outil.

Orson, plus tranquille, goûtait chaque matin la vue des bobines pleines. Ses lunettes toujours de travers semblaient sourires. Lina exposait ses dessins, des nuages-souvenirs que tout le village appréciait. Flocon, désormais célèbre, ronronnait sur des pelotes et jouait le rôle de gardien joyeux.

Un jour, la grand-mère de Maya vint visiter la Fabrique. Elle prit la main de sa petite-fille et dit, avec une voix qui tremblait d’une émotion à peine contenue :

— J’ai attendu que tu trouves cette porte, et je suis heureuse de voir ce que tu as fait.

Maya sentit une pluie douce monter. Elle dit alors, simplement : — Grand-mère, j’ai eu peur. Et j’ai ri. Et j’ai tissé ce que j’avais appris.

La vieille femme sourit, et leurs nuages se mêlèrent en un halo tendre au-dessus d’elles. Autour, le village vivait sa vie avec la liberté retrouvée d’exprimer et d’écouter. Les nuages continuaient à naître, non comme une fabrication mécanique, mais comme un geste continu de soin.

Maya comprit que le travail ne finirait jamais : les émotions évolueraient, et il faudrait sans cesse apprendre à les nommer et à les transformer. Mais elle ne craignait plus l’inconnu, car elle savait qu’elle n’était jamais seule.

La morale se tissa alors : oser dire, écouter sans juger, et fabriquer ensemble. Ainsi, les nuages prennent forme, et le monde devient plus doux.

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Écrit par Sylvie Bs. de unpoeme.fr

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