C’est de donner au monde, à l’ensemble des choses que je vois ou que je conçois pour la vue, non pas comme le font la plupart des philosophes et comme il est sans doute raisonnable,
la forme d’une grande sphère, d’une grande perle, molle et nébuleuse, comme brumeuse, ou au contraire cristalline et limpide, dont comme l’a dit l’un d’eux le centre serait partout et
la circonférence nulle part, ni non plus d’une « géométrie dans l’espace », d’un incommensurable damier, ou d’une ruche aux innombrables alvéoles tour à tour
vivantes et habitées, ou mortes et désaffectées, comme certaines églises sont devenues des granges ou des remises, comme certaines coquilles autrefois atténues à
un corps mouvant et volontaire de mollusque, flottent vidées par la mort, et n’hébergent plus que de l’eau et un peu de fin gravier jusqu’au moment où un bernard-l’hermite les
choisira pour habitacle et s’y collera par la queue, ni même d’un immense corps de la même nature que le corps humain, ainsi qu’on pourrait encore l’imaginer en considérant dans
les systèmes planétaires l’équivalent des systèmes moléculaires et en rapprochant le télescopique du microscopique.
Mais plutôt, d’une façon tout arbitraire et tour à tour, la forme des choses les plus particulières, les plus asymétriques et de réputation contingentes (et non
pas seulement la forme mais toutes les caractéristiques, les particularités de couleurs, de parfums), comme par exemple une branche de lilas, une crevette dans l’aquarium naturel des
roches au bout du môle du Grau-du-Roi, une serviette-éponge dans ma salle de bains, un trou de serrure avec une clef dedans.
Et à bon droit sans doute peut-on s’en moquer ou m’en demander compte aux asiles, mais j’y trouve tout mon bonheur.