Le chemin ĂŠtait bleu, le feuillage ĂŠtait noir,
Et les palmiers tremblaient d’amour au vent du soir.
L’enfant de Magdala, la fleur de BĂŠthanie,
GĂŠmissait dans la pourpre et l’azur des coussins.
Le grand ĂŠpervier d’or des femmes ĂŠtrangères
Agrafait sur son front les Êtoffes lÊgères ;
La myrrhe tiĂŠdissait dans l’ombre de ses seins ;
Ses doigts, oĂš les parfums des jeunes chevelures
Avaient laissĂŠ leur âme et s’exhalaient encor
Autour du scarabĂŠe et des talismans d’or,
Gardaient des souvenirs pareils Ă des brĂťlures.
Or elle haĂŻssait ce corps qui lui fut cher ;
Tous les baisers reçus lui revenaient aux lèvres
Avec l’âcre saveur des dĂŠgoĂťts et des fièvres.
Madeleine ĂŠtait triste et souffrait dans sa chair ;
Et ses lèvres, ainsi qu’une grenade mĂťre,
Entr’ouvrant leur rubis sous la fraĂŽcheur du ciel,
L’abeille des regrets y mit son âcre miel,
Et le vent qui passait recueillit ce murmure :
» J’avais soif, et j’ai ceint mon front d’amour fleuri ;
J’ai pris la bonne part des choses de ce monde,
Et cependant, mon Dieu, ma tristesse est profonde,
Et voici que mon coeur est comme un puits tari !
» Mon âme est comparable Ă la citerne vide
Sur qui le chamelier ne penche plus son front ;
Et l’amour des meilleurs d’entre ceux qui mourront
Est tombĂŠ goutte Ă goutte au fond du gouffre avide.
» Je n’ai bu que la soif aux lèvres des amants :
Ils sont faits de limon, tous les fils de la mère ;
La fleur de leurs baisers laisse une cendre amère,
L’ĂŠtreinte de leurs bras est un choc d’ossements.
» Je brisais malgrĂŠ moi l’argile de leur chaĂŽne.
Seigneur ! Seigneur ! ce qui n’est plus ne fut jamais !
Leurs souvenirs ĂŠtaient des morts que j’embaumais
Et qui n’exhalaient plus qu’Ă peine un peu de haine.
» Et je criais, voyant mon espoir achevĂŠ :
Pleureuses, allumez l’encens devant ma porte,
ApprĂŞtez un drap d’or : la Madeleine est morte,
Car ĂŠtant la Chercheuse elle n’a pas trouvĂŠ ! »
» Et j’ouvrais de nouveau mes bras comme des palmes ;
J’ĂŠtendais mes bras nus tout parfumĂŠs d’amour,
Pour qu’une âme vivante y vĂŽnt dormir un jour,
Et je rĂŞvais encor les vastes amours calmes !
» Le Silence entendit ma voix, qui soupirait
Disant : » La perle dort dans le secret des ondes ;
Or je veux me baigner dans des amours profondes
Comme tes belles eaux, lac de GĂŠnĂŠsareth !
» Que votre chaste haleine Ă mon souffle se mĂŞle,
Tranquilles fleurs des eaux, afin que le baiser
Que sur le front Êlu ma lèvre ira poser,
Calme comme la mort, soit infini comme elle ! »
» Telle je soupirais au bord du lac natal,
Mais sur mes flancs blessĂŠs une mauvaise flamme,
Rebelle, dÊvorait ma chair avec mon âme,
Et voici que je meurs sur mon lit de santal.
» Pourtant, j’accepte encor la part de Madeleine
J’avais choisi l’amour et j’avais eu raison.
Comme Marthe, ma soeur, qui garda la maison,
Je n’aurai point pesĂŠ la farine ou la laine ;
» La jarre, au ventre lourd d’olives ou de vin,
Dans les soins du cellier n’aura point clos ma vie ;
Mais ma part, je le sais, ne peut m’ĂŞtre ravie,
Et je l’emporterai dans l’inconnu divin ! »
Elle dit : le reflet des choses ĂŠternelles
L’illumina d’horreur et d’ĂŠpouvantement.
Alors elle se tut et pleura longuement :
Une âme flottait vague au fond de ses prunelles.
Or, JĂŠsus, celui-lĂ qui chassait le DĂŠmon
Et qui, s’ĂŠtant assis au bord de la fontaine,
But dans l’urne de grès de la Samaritaine,
Soupait ce mĂŞme soir au logis de Simon.
Vers ce foyer, ce toit fumant entre les branches,
Madeleine tendit, humble, ses belles mains ;
Et l’on aurait pu voir des pensers plus qu’humains
Rayonner sur son front comme des lueurs blanches.
La tristesse rendait plus belle sa beautĂŠ ;
Ses regards au ciel bleu creusaient un clair sillage,
Et ses longs cils mouillĂŠs ĂŠtaient comme un feuillage
Dans du soleil, après la pluie, un jour d’ĂŠtĂŠ.
L’enfant de Magdala, la fleur de BĂŠthanie,
S’en alla vers JĂŠsus qu’on a nommĂŠ le Christ,
Et parfuma ses pieds ainsi qu’il est ĂŠcrit.
Et la terre connut la tendresse infinie.
Extrait de:
Idylles et lĂŠgendes (1873)