Le Sceau de l’Encre et l’Ombre du Destin
Sous l’ombre longue d’un bureau ancien,
Assis, l’écrivain à l’âme en conflit
Plongeait sa plume dans l’encre incertaine.
Grisâtres murailles aux taches de mémoire,
Les volets clos laissant un jour chancelant,
Cet asile figé récitait ses déboires,
Mêlant son chant à l’averse du sanglant.
Lui, vil alchimiste au creux de l’existence,
Façonneur des mots, esclave de l’angoisse,
Brisait le silence en douce insistence,
Et cherchait le sens au fond de sa glace.
« Pourquoi ces mots prêts à mourir d’assaut ?
Pourquoi ce flot qui fuit sans trêve ni fin ?
Ma plume s’épuise, et mon cœur, en écho,
Se débat, ô destin, dans le ciel incertain. »
Ses doigts, tremblants, sur la porte du dessein,
Griffaient le papier, fiévreux et fièvresques,
Chaque courbe, un théâtre où la lutte se peint,
Funambule sur l’échine des perspectives grotesques.
L’encre, rivale et complice, tracée et traitresse,
S’enroulait en volutes noires et contradictoires,
Déversant sur la feuille ses fièvres et sagesse,
Compagnon fidèle, ou tyran illusoire.
Le stylet usé, ferraille d’une époque morte,
Épuisé par ses doutes, portait la charge lourde
De saçons innombrables, écartelé, en cohorte,
Entre renoncement froid et ardeur qui le sourde.
Dans le fracas des idées, dans la nuit des volcans,
Nait la lutte farouche de son être double et clair,
L’un voulait s’enfuir vers des cieux moins pesants,
L’autre, enchaîné ardent, forgeait son univers.
« Ô toi, destin, maître cruel et indompté,
Faut-il que l’encre coule au prix de ma paix ?
Faut-il que mes vers soient lames argentées,
Perçant mon cœur las d’un combat imparfait ? »
L’écrivain murmure, la voix brisée,
« Suis-je l’artisan de cette sombre toile ?
Ou le pantin forcé de l’ordre commencé,
Dont chaque mot me lie à la nuit qui dévoile ? »
Les heures glissaient en longues escaliers,
Où chaque palier portait ses dilemmes,
Le regard flottant sur ces textes éboulés,
Hantés par le revers d’une vie qui blâme.
Chaque phrase un refuge et une prison,
Un labyrinthe d’ombres et de clartés,
Où s’affrontent l’espoir et la raison,
Où le doute tisse son réseau entremêlé.
Dans un geste brusque, la plume jaillit,
Comme un cri soudain au cœur de l’orage,
Le papier s’enivre de son feu qui nie,
La paix souvent fuyante, trop rare image.
« Je suis l’écho même de mon impuissance, »
Écrit-il encore, la voix tendre et dure,
« Entre charnel combat et froide naissance,
Je cherche l’azur au fond de l’ordure. »
Et quand le silence, enfin, vint s’asseoir,
Il vit le reflet de ses mains tremblantes,
Ce parchemin, témoin d’un sombre espoir,
Finit son récit, mais pas sa tourmente.
Car nul verdict n’est scellé par la nuit,
Ni la plume, ni l’homme n’ont trouvé repos ;
L’encre s’attardait, méditant sur l’ennui,
Défiant le sort dans son mai nouveau.
D’un souffle, l’écrivain entrouvrit la fenêtre,
L’air frais s’enroula, caresse d’un instant,
Comme une promesse au-delà du théâtre,
Que demain écrira ses mots autrement.
Alors suspendue, cette lutte infinie,
S’acheva là, dans un frisson d’espoir,
Là où l’homme et l’encre en douce alchimie,
Font naître encore l’abîme et le miroir.