Le Bal des Âmes Égarées
Dans la vaste salle aux murs d’or éclatants,
Un lustre s’épanouit, tel un soleil figé,
Disséminant la nuit de ses éclats glacés.
Là, s’assemblent les ombres aux pas mesurés,
Figures emmêlées dans un bal hanté,
Où chaque mouvement scelle un étrange sort,
Et chaque regard peint d’invisibles morts.
Les âmes, enchevêtrées, valsent, se frôlent, se perdent,
Comme des feuilles mortes que le vent modère,
Nées d’entrelacs d’espérance et de chagrin,
Gravées dans la toile d’un invisible destin.
Un noble au front fier, au sourire de fer,
Tient la main d’une dame à la robe de verre,
Les doigts s’effleurent, liens fragiles d’un rêve,
Que la musique, lente, doucement soulève.
« Dis-moi, murmure-t-elle, dans ce souffle à demi,
Suis-je plus qu’un mirage que l’ombre déplie ? »
Et lui, voix pesante, comme un glas qui tinte,
Répond, hanté du poids de ses pensées distincts :
« Nos pas s’accordent, mais nos cœurs s’éloignent,
Cette danse est une toile où les âmes se joignent,
Puis se déchirent au fil des heures tenaces,
Prisonnières d’un temps, d’un ballet qui s’efface. »
Plus loin, un jeune homme, au regard clair et fier,
Brandit ses rêves comme un étendard amer,
Pour lui, chaque pas est défi au destin,
Mais la fatalité guette au détour du chemin.
Il tourne, il virevolte, abandonné, cherchant
Dans le reflet des yeux, la vérité du temps.
Un silence soudain fend l’air embaumant,
Quand sa main se tend vers une figure tremblante.
Elle, douce et pâle, ombre d’un été fâné,
Ses yeux sont des lacs où l’oubli se cache
Elle murmure, voix frêle, soupir égaré :
« Nos vies sont des fils qu’un fil peut détacher. »
Leurs âmes s’enlacent, tissent un tendre fil,
Mais l’horloge implacable avance, servile,
Chaque seconde dérobe à ce lien fragile
Une once d’éternité, un instant subtil.
Au centre, un vieux sage aux cheveux d’argent
Observe en silence le drame prenant,
Tel un orage sourd dont l’éclair éclaire
Les cœurs enchaînés au douloureux mystère.
« Voyez-vous, dit-il, ces âmes mêlées ?
Ce bal n’est que l’ombre des vies effacées,
Chaque pas, chaque danse, chaque mélodie,
Est l’écho d’un souffle, d’un rêve défini. »
Mais la salle se défait, les pas ralentissent,
Les regards se fendent, les âmes s’évanouissent,
Sous le feu du lustre, dans la lumière orpheline,
La fin s’avance, et déjà la toile s’opine.
Le noble au front fier, la dame au cœur d’ombre,
Se quittent en silence, prisonniers des nombre,
Du temps qui les brise, du vide qui aspire,
Et de cette nuit noire où s’en vont les soupirs.
Le jeune homme et l’ombre, au dernier mouvement,
Se séparent sans bruit, désertant l’instant,
Emportant avec eux les échos d’un refrain,
Perdus dans l’abîme d’un destin incertain.
Le vieux sage se lève, le dernier éclair s’éteint,
Son regard se voile, pareil au matin.
« Ainsi va la danse, ainsi va la vie,
Chacun trouve un pas, puis s’efface, enfoui. »
Les lustres se figent, la salle s’obscurcit,
Dans l’écho lointain, un dernier soupir fuit,
Les âmes enchevêtrées, dans ce bal fatal,
Disparaissent à l’orée d’un sombre récital.
Ô condition humaine, cruel bal des heures,
Où l’on danse en silence, vaincus par la douleur,
Nos destins s’entrelacent puis se déchirent,
Noyés dans la nuit où nos espoirs expirent.
Sous le lustre étincelant, le bal s’achève,
Et dans le cœur des foules, une angoisse s’élève,
Car nul ne sait jamais, au fil du dernier pas,
Si l’ombre qui danse est celle de l’au-delà.
Et dans ce grand théâtre où l’homme est éphémère,
Chaque rencontre s’efface en poussière amère,
Telle est la triste loi, la fatalité mise,
À ce bal des âmes, délicate emprise.