L’Adieu du Ménestrel aux Flots Indignés
Tordant sa chevelure en crinière de braise,
Quand il vint, l’archet frêle et le manteau terni,
Poser ses lèvres d’ombre au bord de la falaise.
Son violon, blessé par vingt hivers de deuil,
Gisait contre son cœur comme un enfant malade ;
Les cordes chuchotaient un nom dans le cercueil
Du crépuscule où dansait la vague nomade.
« Ô toi qui fis chanter mes nuits avant l’exil,
Étoile au front glacé, lampe des solitudes,
Vois : la mer a volé jusqu’à mon dernier fil,
Et l’horizon se meurt en habitant des dunes.
— J’ai connu des palais où vibraient les tambours,
Des jardins suspendus aux colliers de glycines…
Mais un jour, le malheur souffla sur mes amours
Le sel qui fait germer les larmes marines. »
La bourrasque arracha ces mots à son manteau.
Soudain, comme un appel venu des profondeurs,
Une lueur trembla sur le dos du flot noir —
C’était elle, l’étoile aux paupières de soie.
***
Souviens-toi, ménestrel des routes sans printemps :
Ce soir-là, la villa dormait sous les yeuses,
Quand ta main effleura les cheveux d’un enfant
Dont les rires montaient en guirlandes heureuses.
La mère apparut, droite en sa robe d’été,
Ses yeux deux sources claires où buvaient les étoiles.
« Jouez encore », dit-elle, et vous aviez chanté
L’hymne que les amants murmurent aux étoiles.
Mais les rois convoquaient les canons et les pleurs ;
On parla de frontière, de sang, de patrie.
Elle mourut un soir en serrant sur son cœur
La médaille d’argent qui portait ton génie.
***
Depuis, tu cheminas sur les chemins frileux
Où les chiens de la faim dévorent les semelles,
Cherchant dans chaque étoile un reflet de ses yeux,
Colline après colline, aurore après aurore.
Et ce soir, c’est ici que le destin se rompt :
La vague a dévoré les marches du rivage,
L’écume crucifie un navire à l’horizon,
Et dans ta gorge monte un sanglot sauvage.
« Prends-moi », murmure-t-il à l’astre qui pâlit.
Le violon s’éveille en gémissant de joie —
Il joue. D’abord lent, comme un pas dans la nuit,
Puis plus vif, tourbillon où l’âme se déploie.
Les cordes font germer des roses de tonnerre,
L’air se tisse d’accords que le ciel reconnaît ;
Les rochers pleurent l’ambre oublié sous la terre,
Les goélands en chœur suspendent leur regret.
La mer retient son souffle au creux de ses cavernes.
Soudain, un cri surgit des lèvres de l’éther :
« Viens ! L’océan n’est plus qu’une coupe où se bercent
Les échos de ta voix et les plumes de l’hiver ! »
***
Il avance. Les flots baisent ses pieds las
Comme jadis les chiens léchaient ses mains moroses.
L’eau froide lui dessine un collier de trépas,
Mais l’étoile descend en robe de fiancée.
« Assez de mensonges et de printemps fanés !
La terre était un livre aux pages trop amères.
Viens : nos lit seront fait de vent et de clarté,
Nos enfants seront les éclairs sur les mers. »
Son violon maintenant n’est plus qu’une étincelle
Qui danse entre les crocs des lames en furie.
Il sourit. L’abîme ouvre ses bras immortels —
Une note s’élève, infinie, infinie…
***
Au matin, sur la grève où râle le ressac,
Un bois courbe surnage, échoué dans les algues.
Les pêcheurs diront qu’une étrange musique
Hante depuis ce jour la mort des vagues sourdes.
Quelqu’un jure avoir vu, dans la gueule d’un flot,
Danser deux silhouettes de nacre et de nuage…
Mais le sel a mangé jusqu’au nom du ménestrel
Et l’étoile se tait, veuve de son message.
Seul demeure un accord perdu dans les bourrasques,
Qui parfois, les soirs d’orage, implore le port —
Miroir brisé où git l’écho d’un cœur fantasque
Qui choisit les ténèbres plutôt que le remords.
« `