L’Adieu Spectral sous l’Astre des Ombres
Traversait la forêt où geignaient les chênes,
Son uniforme souillé par les pleurs du temps,
Portant dans ses yeux morts l’exil des combattants.
Les branches, doigts noueux étreignant les ténèbres,
Déchiraient son manteau de souffles funèbres,
Et la lune, furtive en son deuil éclipsé,
Nimbait d’argent terni ce royaume hanté.
Soudain, parmi les troncs aux écorces blessées,
Une lueur dansa, faible étoile glacée,
Guide spectral menant au cœur du bois maudit
Où l’âme des feuilles mortes chuchote interdits.
Il suivit ce reflet, fantôme de clarté,
Tandis qu’autour de lui grondait l’éternité :
Les mousses soupiraient des noms inavoués,
Les pierres exhalaient des sanglots éboulés.
Au creux d’un vallon noir, sous un ciel de suie,
Une forme émergea de la brume qui fuit :
Femme aux cheveux d’ébène et robe de bruine,
Ses mains diaphanes tendues vers la ruine.
« Ô toi que j’attendais depuis les premiers gels,
Reconnais-tu l’éclat de nos printemps angéliques ?
Nos pas entrelacés dans les sentiers de miel,
Le serment échangé sous les cieux prophétiques… »
Sa voix était le vent dans les tombes scellées,
Un murmure d’automne aux lèvres effilées,
Le soldat, pétrifié, sentit son cœur vieux
Se briser en échos aux appels fabuleux.
« Ombre qui ressembles à mon amour défunte,
Es-tu le souvenir que la mort a dépouillé ?
Mon âme est un champ ravagé par la disgrâce,
Où plus rien ne fleurit que l’odeur des combats. »
La figure s’approcha, fluide et sans substance,
Son sourire empreint d’une amère constance :
« Je suis ce qui persiste au-delà du trépas,
L’écho de ton propre exil qui ne meurt pas. »
Leurs doigts illusoires frôlèrent sans se joindre,
Deux mondes séparés par un voile de cendre,
Lui, chair marquée au fer des guerres insensées,
Elle, spectre lié aux racines blessées.
« Vois comme l’astre unique, témoin de nos peines,
Saigne son froid diamant sur nos destins hybrides,
Il est l’œil éternel qui scrute nos vertiges,
Le juge muet de nos adieux prodigues. »
Elle désigna le ciel où tremblait un point pâle,
Cicatrice céleste sur le drap nocturne,
« Chaque nuit, je renais sous sa lueur fatale,
Condamnée à revivre notre amour nocturne. »
Le soldat, submergé par ce destin austère,
Sentit monter en lui les laves du cratère :
« Faut-il que je meure encore en ce bois maudit ?
Que mon sang lave enfin le deuil qui nous unit ? »
Mais l’ombre, caressant son front de vague triste :
« Notre exil est plus vaste que la mort elle-même,
Tu portes les stigmates des vivants qui résistent,
Moi, ceux des souvenirs que le temps ne clôt même. »
Ils marchèrent ainsi parmi les saules gris,
Deux âmes enchaînées à d’invisibles liens,
Évoquant les matins où l’espoir fleurissait,
Les rires étouffés par les rouges couteaux.
« Rappelle-toi », dit-elle en effleurant un hêtre,
« Ce chêne où nous gravâmes nos rêves éphémères,
Les mousses ont mangé les lettres du serment,
Le vent a dispersé les cendres du présent. »
Soudain, l’étoile pâle intensifia sa flamme,
Déchirant les brumes de son glaive de nacre,
L’ombre poussa un cri de douleur souveraine :
« L’heure vient où je dois regagner mon domaine. »
Le soldat étreignit ce corps sans chair ni os,
Sentit fondre entre ses bras le parfum des roseaux,
« Ne me laisse pas seul dans ce désert d’effroi !
Prends-moi dans ton néant, ton exil est le mien ! »
Mais déjà s’effaçait la forme bien-aimée,
Dissoute dans les plis de l’aube condamnée,
Sa voix ultime erra comme un lierre mourant :
« Notre amour est la plaie où saigne le néant… »
Resté seul avec l’astre aux lueurs mensongères,
Le guerrier leva ses mains vers les chimères,
Maudissant les éclats de ce faux guide errant
Qui leurre les damnés d’espoir délirant.
Depuis lors, quand décembre étend ses nuits profondes,
On dit qu’un homme en deuil, couvert de plaies blondes,
Erre près du vallon où les chênes gisent,
Appelant en sanglots l’ombre qui ne vient plus.
L’étoile, impassible en son trône de glace,
Continue de saigner sur la forêt vorace,
Tandis que sous les pins où rôde le regret,
Deux exils éternels ne se rencontrant jamais.
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