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L’Appel

L’Appel d’Édouard Glissant est un poème puissant qui interroge les relations humaines avec la mer et l’identité. Écrit dans un contexte de résonance culturelle et historique, ce poème nous plonge dans des réflexions sur le voyage, les racines et les souvenirs. Glissant, écrivain et penseur engagé, parvient à allier lyrisme et critique sociale, ce qui rend son œuvre profondément significative à notre époque.
Sur
Gênes va s’ouvrir le pré des cloches d’aventures.
O lyre d’airain et de vent, dans l’air lyrique de départs,
L’ancre est à jour!…
Et la très douce hébétude.
Qu’on la tarisse ! au loin d’une autre salaison.
O le sel de la mer est plus propice ici que l’eau bénite de
l’évêque,
Cependant que la foule fait silence ; et elle entend la suite
de l’histoire…
Ville, écoute ; et sois pieuse !
Religion te sera faite dans nos
cœurs.
Qui avons su l’émoi et la boussole, et d’autres œuvres sur la
voile.
L’homme arrête le geste, il dit, gardant l’écume : «
Ce
combat «
Fut d’écumes, de foi, de soleils et de sangs, «
Où l’or, taché de sang, avait sa part essentielle ; et la
folie, sa part ! »
Et quelqu’un dit : «
Nous sommes plage de l’écume, ô
fils. »
Il dit…
Nous, sur la plage, il nous est fait licence de nous
assembler à la proue de la voix, de crier,
Sur la plage, l’Eclair, seule raison des
Ecumeurs.
Il dit ; et la plage ne sait, à ce début, de quelle écume se
fera
Sacre ou ravage ?
Nul ne sait, pieds nus sur le sable nu,
De quelles
Indes voici l’approche et la louange, ou quel ce
capitaine (Aveuglé de vents ou de diamants ?)
Que la voix sur la plage somme encore de partir, libérant la
boucle d’amarre ? —
Mais cette science est plus profonde.
Comme le nègre, sur les mornes, qui prédit
Le vol proche d’un bateau porteur de femmes nouvelles et
de casseroles, (Femmes de
La
Rochelle et casseroles de fer-blanc, dit-il),
Et qui souffrit d’un prêtre la saumure et les piments —
écorché vif !
Mais le bateau ne vint-il pas à quai, caressant de sa toile
humide
Le pays de carne et de mort !
Il n’est pas temps encore.
La nuit de foi pourtant, ou même
nuit, des profondeurs,
Déjà devient sel de la mer, et non, complices du lévite,
saumures sales
Qui enivrent la chair et folle jettent l’âme à la cime des
mâts, ô douleur !
Devers la hune, devers le sable, par-dessus cet océan, si
haut !
Comme pour arracher, de chaque plaie, l’épais maïs de
l’inconnu.
Qu’était la mer, et son écume ?
Savait-on si sa parole ne se
mourait
En quelque gouffre, au loin des routes révélées ?
Longtemps ainsi la voix de l’homme se perdit aux temples
Pour obscure qu’était la route jusqu’au temple !
Et cette
mer,
Croyait-on pas qu’elle coulait dans l’infini, goulue qui bée,
jusqu’à tarir ? —
Puis, l’autre rive fut saluée !
Comme ce nègre, disions-nous, supplicié.
Lui, dans son plein baril de foudres, tenait langage de
prophétie.
Oublieux de ton piment,
Labat, et des trois fois cent
giclures du fouet sacrificiel ! il disait
Les femmes ouvrant leurs yeux de femmes sur ce soleil
encore vierge…
Et n’était-ce la saumure, la flèche d’âme, qui l’empoignait
au
Mont de sa passion
Dessus la mer qu’il voyait croître d’une seule vie ?
Mer ô
savante !
Par où commencent d’être sues, et la folie de l’homme, et
sa rapine, et sa beauté.
A
Sparte fut ainsi puni
Terpandre qui avait connu sa lyre
trop légère (Et avait ajouté deux cordes à la lyre.)
A
Vérone, moururent deux, ceux dont l’amour était le pain
et dont la nuit fut le manteau.
Et
Toussaint ! qui tenait lyre de flammes et d’entrailles,
lui,
Fut jeté à la mer blanche du
Jura ; où attisé de neige, de
sarcasme,
De faim, il put mourir, si roide, en son fauteuil.
Ceux-là savaient la mer, peu ou beaucoup, et leur saumure
non-égale les unit.
Les
Indes sont éternité.
Ils s’appellent, fameux, et se connaissent sur la plage, où le
Temps les convie ;
Au même sable, chaque fois, leurs pieds ayant tracé la
gloire des marées ;
Rocs sur la mer, et inconnus de ceux des hautes terres, mais
brisant mers et taillant villes !
Le
Temps se gave en eux de
Chants, et le varech n’a pas
bougé son cri fragile,
Gave où quelle
Inde se dessine ?
J’avais bu ; j’avais bu cette eau, l’eau étant bleue, et j’avais
su
Le départ des sentiers d’entre la ronce, les épines, la boue
rouge, et les taureaux ;
Pâle de cette cendre sous le sel (comme à
Carthage quand
détruite !
Comme, celée au sel de la distance, depuis la
Côte d’Or à
Maracaibo,
Cendre de cale et des vezous de soute !) j’avais connu
l’approche de cette eau.
Ainsi les ai-je vus qui descendaient entre l’épine et les
taureaux ;
Les solitaires qui mouraient sur ce chemin des hordes, dit le
Chemin de la
Soie ;
Les fiers, coiffés de lances, qui nommaient la mer complice
de leurs âmes ;
Le dompteur de chevaux, en robe longue, qui apprit
soixante langues à ses hommes ;
Le fusil nouveau, les diamants obscurs des tard-venus; ils
ne furent les moins soûls !
O nul ne sait où vient, veilleur de lune, l’orient ;
Ni l’ouest ?
L’ouest est un lac, est pâture de lune où d’autres
gobe-ciels
Naissants se mêlent à ceux qui mangent d’injustices et de
crimes.
Car qui pourrait sur la tempête de la plage dire le sage, la
victime ?
Combien sont-ils, que j’ai comptés mais qui s’en furent
boire
A la fontaine de leurs voix, où désormais il est grande
musique.
Et voulurent m’exhorter, mais je faillis à prendre corps avec
leurs mers,
Or j’écoute, je bois de loin la sève de ce temps.
Accueillez-moi, ô fontainiers en bordure du sable, moi qui
longtemps fus si peu sage.
La grande amour, splendeur nuitée, ou la colombe
Plus humble, je les veux ce soir réjouir d’un vol, encore
De mots et de noirceurs dessus l’écume et la ferveur.
L’Amour est morte.
O nul ne sait où gît, colombe lasse du langage, le secret
D’amour écru, de mil, et de sagesse, mais le mot n’est plus
muet!
Beaucoup furent, qui parlèrent de la sorte.
De toutes parts ainsi, ce fut et c’est moisson de couples,
chaque chose
Gainant dans son cœur noir l’âme contraire de son chant, et
chaque larme
Signant près d’elle le charbon qui la sua, et chaque foi
lavant son crime,
Et chaque voix gardant sa rime pour le
Terre ! des vigies, et
chaque mer
Baignant sa mer à l’autre face !
Et tout confus, et tout
vivace !
Et le marin dit qu’il croit même, enfants, qu’il est deux
Indes, deux levures d’or saignant !
Mais les
Indes sont vérité.
Combien sont-ils, et qui s’appellent sur la plage, hommes
d’histoire, près de
Gênes très-ouverte ?
Cloches !
Rumeurs de jeunes filles en marche vers le port,
qui ont fiancé à bord.
Ivresse de celui (n’est-ce pas le docteur ?) qui se meurt
d’être là, et fouille l’horizon, disant : «
Jusqu’où,
jusqu’où ? »
Puis les amarres, vite, les cordages, tout chante et crie, les
filles rient, canons, prières!…
Et le silence, l’énorme en neuve mer, qui ouvre
Les
Deux
Livres d’azur saignant.
À travers ‘L’Appel’, Édouard Glissant nous incite à méditer sur notre place dans le monde en perpétuel mouvement. N’hésitez pas à explorer davantage ses écrits pour découvrir d’autres facettes de sa vision poétique.

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