back to top

Utilisation des poèmes : Tous les poèmes de unpoeme.fr sont libres de droits et 100% uniques "sauf catégorie poésie classique" .

Vous pouvez les utiliser pour vos projets, écoles, affichages, etc., en mentionnant simplement notre site.

⚠️ Les poèmes soumis par nos lecteurs qui souhaitent en limiter l'usage auront une mention spécifique à la fin. En l’absence de cette mention, considérez-les comme libres de droits pour votre usage personnel ou professionnel.

Profitez-en !

Partagez votre talent avec nous ! ✨ Envoyez vos poèmes et histoires via ou utilisez ce formulaire.
Tous les styles sont bienvenus, tant que vous évitez les sujets sensibles. À vos plumes !

L’Atelier des Possibles

L’atelier trouve au matin

L'atelier trouve au matin

Le matin tenait encore sa respiration quand Amelie Durand erra hors des quais, cherchant un raccourci entre deux rues qui sentaient la morue sechee et le goudron chauffee. Le soleil s etirait, maigre, derriere la brume saline; le port semblait un coeur qui battait lentement. Elle suivait l instinct plus que la carte, mains enfouies dans les poches de son tablier, la tunique en lin ecru encore marquee d une tache d argile sechee. Ce fut une porte branlante qui la retint: bois fissure, lettre blanche de sel collee au dessous de la serrure.

Elle poussa. L air qui s offrit fut un livre ouvert: poussiere, toiles tendues, odeur d argile et de vernis qui se melangeaient comme une promesse. Les rayons obliques du matin traversaient des vitres salees et dessinaient sur le sol des parallelogrammes de lumiere. Amelie sentit, d un coup, le coeur leger et la poitrine serrée, cette double sensation qui la ramena aux jours ou la restauration d objets lui apportait une religion intime.

Les premiers objets l accueillirent comme des voix: des masques d argile empiles, des carnets aux couvertures effritees, des partitions froissees, une mallette equipee de pinceaux et d instruments qui avaient connu de longues pauses. Elle passa la main sur un masque; la surface eteilee de poudre, des fragments de ciment collaient aux doigts. Un carnet s ouvrit sous sa paume avec un souffle; des phrases griffonnees, des notations abruptes, comme si quelqu un avait voulu saisir une pensee et l abandonner aussitot.

Amelie sourit, puis sa bouche se fit serieuse. Elle prit des photos avec son telephone, non pour publier mais pour se souvenir des lignes et des angles. Une impulsion la traversa: la decision fut presque physique, une urgence douce. Elle lisa l annonce sur la porte interieure, un nom efface, un numero de telephone absence, et, sans consulter personne, elle signa un contrat de location temporaire aupres d un administrateur municipal au marche du matin, ses doigts tremblant legerement contre le stylo.

Elle resta un long moment seul dans la penombre, comme pour ecouter les murs. Les bruits du port parvenaient, et le clapotis, et des voiles qui battaient au loin. Elle imagina des repetitions, des assemblages d objets, des pieces qui se tisseraient avec la musique des bateaux. Sa posture, habituellement voilee par des annees de concentration minutieuse, se redressa imperceptiblement: la fatigue etait toujours la, mais l etincelle recevait enfin de l air.

Sur la table centrale, une feuille ecrite a la main offrait une consigne improbable: Ne pas deplacer les choses sans les ecouter. Amelie rit doucement, repondit a voix basse comme a un compagnon invisible — Je t entends, dit-elle —, puis elle appuya la paume contre le bois pour sentir la chaleur residuelle des vies passees. Cette premiere rencontre la transforma; elle savait, avec une lucidité qui se teintait de peur et d espoir, qu elle ne repartirait pas. L atelier abandonne cessait d etre ruine pour devenir un atelier des possibles.

Les objets qui ne veulent pas taire

Les objets qui ne veulent pas taire

Amelie passa les jours suivants a trier comme on depareille des souvenirs: avec lenteur, respect, parfois avec le geste vif de qui veut sauver ce qui parait irreparable. Les masques d argile se succedaient, chacun differend par une fissure, une empreinte de doigt, une retouche maladroite. Ils semblaient destines a ne jamais etre portes, et pour cela ils parlaient davantage: la bouche trop petite, la joue trop lisse, le regard absent. Elle les rangeait, notait, frottait, laissait secher. Les carnets livraient des fragments, des vers, des noms qui revenaient en echos, des dates omises comme pour proteger une memoire.

Un apres-midi, en retournant une planche, elle decela une empreinte recouverte d encre et de cendre. Une partition froissee renfermait un air ecrit a la main, la ligne melatonique d une chanson qu elle fredonna sans realise. Ce meme jour, en effleurant un masque qui resistait a toute tentative de nettoyage, la piece parut refuser. Elle mit de l eau, de l alcool, du savon, et la patine restait, comme si le masque eprouvait sa propre volonte.

La decision d appeler a l aide arriva naturellement. Amelie connaissait des visages dans la ville; elle ecrivit a Lucas Merle, envoyant des photos et son impatience; elle chercha Elise, qui avait la voix d une scene, et elle la trouva, plus tard, assise a la terrasse d un cafe, lisant un recueil de monologues. Lucas apparut quant a lui comme une presence qu on n attendait pas: il franchit le seuil sans bruit, regarda la charpente, les murs atteints par le sel, puis tendit une feuille de plans mesuree. Sa maniere etait prudente, ses yeux calculaient. Mat eo arriva comme la musique: guitare taciturne sur le dos, sourire emporte, mains qui racontaient deja une rythmique.

Le premier atelier improvis e se tint comme une experimentations timide. Amelie posa le masque sur la table et dit — Ecoutez, il refuse le nettoyage; que proposez-vous ? — Elise fit tournoyer un carnet et lut un fragment a voix haute; Lucas examina la fissure et parla de consolidation; Mat eo toucha la terre et, sans rien dire au depart, entonna un air qui emplissait la salle. Les paroles du carnet et la musique se melange rent, comme des lumi res qui se superposent. Le masque semblait, a cette convergence, moins reppelant; il ceda quelques grains de poussiere, comme une respiration.

Mais la rencontre ne fut pas sans frottements: chacun interprete les objects a sa maniere. Lucas craignait l impulsion qui pourrait briser la structure; Elise proposait la mise en scene, afin que l objet conserve sa dignite; Mat eo voulait jouer immediatement, ses doigts impatients sur la caisse claire invisible. Amelie, entre precission chirurgicale et envie de laisser faire, se trouva au centre de ces desirs. Les objets ne cessaient de murmirer, et elle comprit que pour les entendre, il faudrait parfois accepter la voix de l autre.

La troupe qui se rassemble en silence

La troupe qui se rassemble en silence

Les jours s empilaient en repetitions. Le vieux faubourg artisanal devenait, peu a peu, un lieu ou l on venait comme on va a une messe laique: pour se retrouver, mettre la main a l oeuvre, parfois pour etre regarde. Lucas proposa des plans pour consolider la charpente; il dessina, mesura, expliqua sans extravagance. Amelie l ecoutait, parfois en desaccord, mais toujours attentive a sa rigueur qui pouvait proteger le fragile. Elise se mit a lire les fragments a haute voix, modulant, faisant surgir des possibles sceniques. Mate o apporta ses rythmes et des airs voles aux passants. Ils formaient une troupe informe, plus proche d une famille electrique que d une compagnie ordinaire.

Les presentations etaient des epreuves douces: chacun racontait, non pas son passe entier, mais une blessure qui pouvait servir de materiau. Lucas parla d un projet monumentale qui avait echoue, laissant un vide de reconnaissance; Elise evoqua la peur de l inutilite apres des decennies de scene; Mat eo, enfant de la rue, avoua son desir d etre pris au serieux; Amelie murmura son echec professionnel qui l avait poussee a se refugier dans la restauration. Les confidences, livres en fragments, se melangeaient a la terre, aux cordes, a la poussiere.

Ils convinrent d essayer une serie de representations privees, pour tester l alchimie du lieu. Les premieres furent timides: cinq amis, six voisins, un marin. On eparpillait les objets comme on disposerait des amulettes; les masques servaient d ombres, les carnets de cartes. Elise dirigeait sans imposer, sollicitant la memoire du public, leur demandant parfois de toucher, de sentir, de se souvenir. Mat eo improvise en filigrane, ses accords rendant les silences moins lourds. Lucas, en coulisse, replaçait une planche, soudait une charniere, invisible mais present.

Les tensions, pourtant, fermente rent sous la surface calme. L impulsivite de Mat eo heurta le souci de controle d Amelie; Elise, pour faire emerger la verite, provoquait, et Lucas redoutait que la provocation devienne exhibition. Une nuit, apres une repetition, une discussion monta. Lucas dit — Je ne veux pas que vous bruliez ce que nous reconstruisons pour une reaction passagere —; Amelie repondit, les yeux brillants — Et je ne veux pas que nous reconstruisions pour rester immobiles. Il y eut un silence, puis un rire amer. Ce silence fut une onde: il leur rappela que la troupe etait encore fragile, que la liberte artistique devait trouver ses limites dans le respect mutuel.

Pourtant, dans la matiere commune, un fil les reliait: la curiosite. Ils revenaient le lendemain, et le lendemain encore, parce qu ils avaient entendu, dans le souffle de l atelier, la promesse d un chant a venir.

Repetitions aux lumieres changeantes

Repetitions aux lumieres changeantes

Les repetitions s etiraient selon le rythme des mar ees et des lumieres. Certains soirs, la fenetre s emplissait d un rouge crepusculaire, d autres fois d une brume qui lavait les couleurs. Les eclairages improvises donnaient a la salle des temperaments variables: un lampadaire apportait la chaleur d un feu de camp; une veilleuse pendue devint une lune suspendue a la hauteur des regards. Chaque variation provoquait une ecoute nouvelle, comme si le lieu changeait de peau a chaque respiration.

Amelie sentait sa vigilance se defaire en partie. Elle confia, un soir ou la pluie tambourinait au carreau, un echec ancien: une restauration qui avait ete jugee trop libre, un objet qu elle avait remet a neuf selon son coeur et qui avait ete rejete par un client. Lucas prit la pause habituelle, regardant la charpente et les doigts de bois. Elise s approcha et, doucement, dit — Raconte encore —. Amelie parla, la voix tantot courte, tantot ouverte; la troupe ecouta sans improviser la solution, simplement presente.

Ces confidences creaient des moments de grace. Une partition retrouv ee conduisit Mate o a inventer un contrepoint qui fit pleurer une voisine. Une lecture d Elise, sur les fragments d un carnet, decadença des images chez chacun qui s accrochaient a la scene. La repetition devint alors une catarsis progressive: la creation confectionnait l espace ou l on acceptait d etre vu. Mais une plainte anonyme, trouvee glissee sous une planche de parquet, apparut comme une pierre dans leur poche.

La feuille etait courte, l ecriture encline a l amertume: On joue avec les cicatrices des autres pour attirer l emotion. Qui paie le prix de la revelation ? La phrase restait, ronde, sans nommer. Elle provoqua des regards echanges. Lucas devint reserve; Amelie sentit une aigreur familiere. Elise proposa d en faire un objet de travail, non d accusation mais de mise en scene, afin d explorer la question plutot que de la laisser consumer leurs relations. Mat eo, les mains encore empreintes de cordes, proposa la musique comme temoignage, comme espace neutre.

Ils convinrent d accueillir la plainte comme un mystere: lire, discuter, puis la placer au centre d un exercice. Cette decision fut un tournant. Leur maniere de pratiquer changea: on chercha a travailler la frontiere entre l intime et l exposition. Les lumieres changeantes, qui avaient toujours joue des etats d ame, devinrent un outil pour tester ou franchir cette frontiere. A chaque repetiton, l atelier murmurait plus fort qu hier, et chacun comprit que la verite, comme la lumiere, pouvait blesser autant qu eclairer.

La lettre qui redessine les contours

La lettre qui redessine les contours

La lettre glissee sous la porte avait deja fait trembler l air autour d eux; sa forme se rappela a nouveau lorsque Elise la proposa pour lecture publique, lors d une soiree ou quelques voisins avaient ete invites. Amelie sentit son estomac se contracter. Elle savait que la plainte devenait une accusation quand elle quittait le papier pour monter sur une table. Lucas, prudent, examina la teneur: les mots, puissants et vagues, parlaient d exploitation de la douleur, de theatre qui ferait commerce des blessures d autrui.

La lecture eut lieu, et la lettre, dite a voix haute, pesa sur la salle comme une houle froide. Des murmures, des respirations retenues. Elise proposa un rituel sceni que: au lieu de recherche d un coupable, on inviterait chacun a deposer une pierre symbolique sur une grande planche, puis a raconter le souvenir liee a cette pierre sans qu il y ait de jugement. L idee etait d approcher la lettre par la distance et la verite, non par la deflagration.

Le geste provoqua des tensions. Lucas dit — Nous devons ressembler a une maison qui protege; je ne veux pas que cela devienne une arene —. Amelie repondit, en baissement — Et je ne veux pas que nous nous defendions au point d oublier la force du partage —. Les mots, souvent, etaient des cailloux jetes sur la surface d un lac. Elise invita a laisser la parole aux pierres; elle posa la planche, et chacun, a son tour, y deposa un objet: une vielle clé, un morceau de bout de corde, un harmonica rayee.

La soiree se transforma en un espace neutre: des histoires furent contees, des silences respectes. Pourtant la lettre avait ouvert une fente; des alliances se firent sentir: ceux qui acceptaient la mise a nu, et ceux qui craignaient la surexposition. Mat eo, emu, dit — Je veux jouer pour que les gens sentent sans qu on leur vole leur douleur —; sa musique accompagna les depots comme un fil de soie.

Au terme, Amelie contempla les objets et sentit une fatigue nouvelle mele d apaisement. La lettre n avait pas livre un nom, mais elle avait oblige chacun a regarder son propre rapport a la douleur. Ce redessinement des contours ne resolvait rien, mais il desserrait un noeud: la troupe devait desormais inventer des regles pour prote ger la fragilite tout en laissant place a la verite. Le travail commençait a prendre la forme d une ethique commune.

La mise en scene de la vulnerabilite

La mise en scene de la vulnerabilite

Sous la houlette d Elise, ils compose rent une courte piece destinee a un cercle restreint: amis, voisins, quelques confreres du metier. Le principe etait simple et redoutable: chacun devait révéler une faiblesse, une imperfection crue, mais en la portant sur scène avec une forme esthetique. L exercice demandait un courage qui fit vaciller Amelie; elle craignait d etre trahie par sa propre precision, de voir ses failles transforme es en spectacle gratuit.

La matinee d essais fut un chaos ordonne. Elise proposa des cadres, des pauses, des respirations sceniques; Lucas recommanda des renforts structurels pour assurer la securite des objets exposes; Mat eo imagina des ponctuations musicales, des respirations sonores qui laisseraient l espace et non l envahiraient. Amelie se trouva a debattre avec elle meme: jusque ou montrer sans se perdre ?

La representation eut des reactions diverses. Certains spectateurs pleur rent, pris par la sincerite; d autres se sentirent devenus complices d un voyeurisme inconfortable. Un voisin, en sortant, murmura — On dirait qu ils nous ont tendu un miroir sans cadre —. Les alliances interne s enro burent. Lucas se sentit incompris quand quelqu un accusa subtilement la troupe d exploiter la douleur pour la creation; il craignait que l intention se perde dans la reception.

Amelie, au centre de la tempete, accepta de renoncer a un controle absolu. Cette concession n etait pas un abandon mais un accord: laisser la piece exister comme un reflet imparfait. Elle retira un element qu elle avait voulu parfaire, et ce retrait donna a la representation une marge d air; la fragilite enfin visible rendit la piece humaine. Elise sourit, contente de voir que la technique pouvait servir la verite plutot que la masque.

La troupe sortit de cette epreuve scindee mais plus veritable; ils avaient compris que la vulnerabilite pouvait etre mise en scene sans passer par l exploitation, mais qu il fallait des regles, de la transparence, et un consentement explicite. Les reactions du public leur apprirent que l art n efface pas l ambivalence: il la contient et la montre. Le soir, quand la fatigue les prit, ils resta rent ensemble dans l atelier, ecoutant la ville, parties d un tout qui cherchait encore sa forme.

Doutes, ruptures et conciliation possible

Doutes, ruptures et conciliation possible

La tempete provoquee par la representation se transforma en brouillard relationnel. Quelques spectateurs accusaient Amelie d avoir manipule les emotions; des paroles furent echangees dans les cuisines du quartier, et la presse locale, discr ete, souffla quelques soupcons. Lucas, bless e dans son orgueil protecteur, se retira quelque temps, refusant de participer aux repetitions pour reflechir. Mat eo, de son cote, se senti trahi par certaines reactions et partit quelques jours, laissant une guitare muette et un vacarme d absences.

Ces separations laiss rent une plaie. Elise prit l initiative d organiser des entretiens indiv iduels: elle proposa que chacun raconte son histoire pendant que l autre ecoute sans commenter. La regle etait simple et dure: ecouter comme on recueille un objet fragile. Amelie vint la premiere; elle parla de ses appr ehensions, de sa peur de decevoir, de sa honte d avoir parfois model e la verite pour la rendre acceptable. Lucas ecouta, sans interrompre, et quelque chose entre eux se dega gea: un espace pour la reconciliation, timide mais reel.

Mat eo revint, change, prete a jouer mais demandeur d un geste de confiance. Elise leur proposa de rediger collectivement un code de pratique: consentement avant toute exposition, partage des decisions esthetiques, regles pour proteger les contributeurs ext erieurs. Ces entretiens, sobrement conduits, agirent comme des coutures: l on recousait les dechirures par des gestes concrets de respect.

La troupe reconstituee decida de nouvelle s marches: l ecoute privilegiee, des repetitions ouvertes seulement a ceux qui acceptaient de participer selon les regles, des temps de retrait pour ceux qui ne voulaient pas etre exposes. Les choix n etaient pas des compromis de faiblesse mais des engagements pour proteger la creation et ceux qui l offraient. Amelie, en particulier, comprit qu accepter la fragilite ne signifiait pas l abandon de l exigence: elle devait apprendre a doser la precision et la confiance.

Un matin, au retour d une balade au bord du port, Lucas laissa tomber sur la table un petit calepin de mesures; il dit — Je veux etre present, mais je ne veux plus diriger seul —. Amelie posa sa main sur la sienne, sans grand geste, et repondit — Moi non plus je ne veux plus tout retenir seule —. Ce petit accord fut la promesse d une conciliation possible: fragile, humaine, et prête a etre entretenue par des actes plus que par des paroles.

Les repetitions vers la grande nuit

Les repetitions vers la grande nuit

La Grande Nuit se profila comme un objectif qui donnait a leurs gestes une urgence douce. Ils imagine rent une mosa que d histoires personnelles, entrelacee par la musique et les objets retrouve s. L atelier devint un laboratoire: tests de lumiere, essais de textures sonores, marqueterie d objets poses comme des rep eres. On travailla les transitions pour que l ensemble ressemble a une respiration plutot qu a une juxtaposition d aveux.

Les impr evus techniques se multipliaient: un projecteur qui surchauffa, des micros capricieux, des planches qui craquaient sous la pluie. Ces incidents mirent la patience a l epreuve. Amelie, parfois, se surprit a ceder a la vieille peur de l echec; Lucas calmait le jeu en apportant une solution pragmatique; Elise rappelait la necessite de garder la scene simple; Mat eo, litt oralement, improv isait des trous dans la partition qui se remplirent d emotion.

Ils deciderent de tester la presentation sur une soiree pilote, en invitant davantage d habitants. Les retours furent encourageants et cru s: certains visiteurs evoqua ient la sensation d avoir ete accompagne s dans un coin sombre de leur memoire; d autres se sentirent bouscules mais reconnaissent l intention. Ces reactions les oblige rent a affiner la tenue: tempo, distance, consentement verbal avant certains passages sensibles.

La conviction que la soiree pouvait transformer le quartier se fit plus nette. Des voisins promettent leur aide pour le mobilier, des commercants offrirent des lampes, quelques marins se mirent en t te des billets pour la billetterie improvisee. L atelier sortit enfin de sa modestie: il accepta les defections ainsi que les apports, et la troupe, soud ee par l effort commun, decida que la Grande Nuit serait moins un triomphe qu une commun ion.

La veille de l even ement, ils restarent tard, peaufinant, replacant un masque, raclant une table, accordant une guitare. Amelie regarda la fenetre: le port dormait, le sel sur les pierres brillait. Elle pensa a la lettre anonyme, a la plainte qui avait menace de detruire ce qu ils construisaient; elle compre ndit que la nuit a venir ne dissiperait pas toutes les interrogations, mais qu elle pourrait offrir un espace ou la verite se presenterait en fragments respectes. Ils se separent avec un dernier regard de confiance, sachant que la nuit leur demanderait l essentiel: presence et sincerite.

La nuit de l effeuillage des masques

La nuit de l effeuillage des masques

La pluie, fine comme une soie, accompagna la Grande Nuit. Le port se transforma en salle improvisee: parapluies ouverts, lanternes guignant, odeur de sel et de pluie. Les masques d argile, nettoyes et positionnes, devinrent des presences muettes sur la scene; leurs fissures, visibles a la lueur, creaient des visages impossibles a oublier. Les spectateurs, serr es, ten aient des tickets manuscrits; certains avaient les yeux rouges, d autres serraient la main de voisins inconnus.

La soiree se deplia comme une chronique de petites verites. Elise introduce chaque sequence, prenant soin de nommer les regles: consentement, retrait possible, respect. Les fragments racontes s entremel erent a la musique de Mat eo, a l intervention precise de Lucas qui repositionnait un element rassurant, et a la presence d Amelie qui, a un moment clef, choisit d agir.

Elle monta au centre, devant un masque qui avait accompagne un fragment particulier. Les regards la scrutaient: elle sentit le vertige mais aussi une clart e nouvelle. Lentement, elle retira son echarpe, puis son tablier, puis, comme un geste ceremoniel, ella enleva un petit masque de bois qu elle portait contre la main. Ce retrait n etait pas une confession totale mais un effeuillage symbolique: laisser apparaitre la main qui travaille, la peau qui porte les marques. Un silence intense s installa.

La reaction fut immediate et divis e. Certains applaudirent dans un souffle, emues; d autres, dans l ombre, murmur erent une critique. Le debat, comme un courant, courut a la sortie: on discuta de la limite entre bravery et exhibition. Mais pendant quelques instants, le public partagea une meme respiration, un meme silence ou la beaute residait dans l imperfection visible. L acte d Amelie, fragile et volontaire, fit comprendre a plusieurs que la creation authentique se nourrit de failles reconnues.

La soiree se termina sans grandiose mais avec une gravite gagnee. Dans la rue, sous la pluie, des conversations commenc erent qui ne ressemblaient pas aux comm rages habituels: elles etaient plus proches d une tentative de comprehension collective. Amelie rentra, trempe e mais eclairee; elle vit l atelier, les objets, les traces de la nuit, et sut que quelque chose avait ete deplace: la solitude individuelle avait commence a se diluer dans une communaute fragile mais presente.

Apres la nuit, les possibles demeurent

Apres la nuit, les possibles demeurent

Au matin qui suivit la Grande Nuit, l atelier semblait a la fois transform e et identique: tasses oublie es, instruments accordes, miettes de conversation encore sur le sol. La pluie avait lave une partie des traces mais d autres restaient: empreintes de pas, marques d argile seches, un petit morceau de papier ou quelqu un avait ecrit merci. Ils se reunirent, epuise s mais contents, pour evaluer ce qu ils avaient gagne et ce qu ils avaient perdu.

Certains choisirent de partir: un jeune spectateur, touche par la musique, accepta une offre pour etudier ailleurs; une voisine decida de reprendre son metier de brodeuse avec une nouvelle energie. Lucas, qui avait revele sa blessure d orgueil, proposa de rester mais a un autre rythme: il accepta un partage de responsabilite. Mat eo, plus serein, offrit de creer une petite serie de concerts de rue; Elise, avec son sourire franc, annonca qu elle continuerait a venir, non pour diriger mais pour garder la memoire des pieces.

Amelie, enfin, fit un geste encore plus subtil: elle accepta une part d imperfection dans son travail de restauratrice et dans sa vie. Il ne s agissait pas d abandonner la precision mais de comprendre que la beaute pouvait naitre d un defaut assume. Elle regarda les masques, leurs fissures comme des lignes de vie, et posa une etiquette: a conserver tel quel. Un acte qui, pour elle, valait plus que mille corrections.

Ils redigerent, ensemble, des principes: consentement eclaire, protection de ceux qui offrent des histories, sanctuarisation des fragments sensibles, regles de partage des profits et de l attention. L atelier devint un lieu ou l on pouvait apprendre a presenter la verite sans la confisquer. Les relations s apaiserent; la troupe, transformee, n etait plus une collection de solitudes mais un organisme fragile, vivant par l entremise de ses membres.

La derniere image fut celle d un matin d automne: la porte grande ouverte, la brume qui se dissipait, des rayons de lumiere qui entraient et illuminaient une table ou revenaient les outils. Amelie se posta devant la fenetre, la main sur un masque, et pensa a la phrase qui avait commence tout: la creation authentique nait de l acceptation des failles. Elle comprit que reveler sa vulnerabilite n etait pas une methode mais un chemin: la solitude se transformait en communaute, et l atelier des possibles demeurait, pret a recevoir d autres voix et d autres doutes, parce que la fragilite elle-meme avait cesse d etre honte et etait devenue materiau de beaute.

Quête de soi | Art et création | Résilience | Solitude | Vérité et authenticité
Écrit par Sylvie Bs. de unpoeme.fr

💖 Soutenez notre travail ! 💖

Si nos poèmes et histoires ont touché votre cœur et apporté un peu de lumière à votre journée, nous vous invitons à soutenir notre projet, chaque don, même modeste, nous aide à continuer à créer et partager ces moments de douceur, de réflexion et d'émotion avec vous.
Ensemble, nous pouvons faire grandir cet espace dédié à la poésie et aux histoires, pour qu’il reste accessible à tous.

Merci de tout cœur pour votre générosité et votre soutien précieux. 🌟

➡️ Faites un don ici

Laisser un commentaire

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici