Le Sentier des Ombres Égarées
Sous l’éclat morne d’un ciel au voile sombre,
Errant solitaire, au pas las, je dérobe
Au chant du silence un secret qui m’encombre.
Mon nom s’est effacé dans la brume ancienne,
Ma mémoire est un nœud que l’oubli resserre,
Mes souvenirs flottent, comme une aube lointaine,
Qui fuit, se défile et jamais ne se terre.
La forêt s’étend, vaste royaume endormi,
Où les troncs profonds sont gardiens des mystères ;
La mousse épaisse aux doux manteaux assombris
Cache les raisons des pleurs sémillères.
J’avance, errant sourd à la voix du destin,
Suivant un sentier oublié du temps,
Ombre parmi les ombres, un filet incertain
De souvenir déchirant l’abîme des ans.
Là, sous la voûte verte où l’ardeur est pesante,
Je ressens frissonner le cœur de la matière,
Une odeur ancienne, une trace latente,
Qui fait vibrer l’âme en écho à la poussière.
Un souffle s’élève, murmure du passé,
Comme l’eau d’un ruisseau qui court sous la pierre,
Il éveille en mon corps, sans cesse enlacé,
Une histoire enfouie, une vérité fière.
« Qui es-tu, voyageur, fantôme égaré ? »
Me lance la forêt en ses mots invisibles,
« Quel secret cherches-tu dans l’ombre voilée,
Quel gouffre profond, quels abîmes indicibles ? »
Je me tais, hésitant, le regard dans l’ombre,
Cherchant en mon sein l’énigme cachée,
Un reflet fuyant, la page qui encombre,
Le livre clos d’une vie oubliée.
Un pas frémissant, puis un autre encore,
Les arbres se penchent, écoutent mon âme,
Le vent pleure au loin, poussière qui s’évapore,
Chant funèbre ou doux chant de flamme ?
Soudain, un éclat se pose devant mes yeux,
Un miroir d’eau pure dans un cercle d’herbes,
Là se mire mon visage, pâle et rêveur,
Ombre troublée, reflet d’un monde acerbe.
Je plante mon regard dans ce double incertain,
Cherchant l’histoire que le temps a cachée,
Voyageur sans mémoire, j’appelle le destin,
Brisant le silence d’un vieux sentier sacré.
Alors un murmure s’élève dans l’onde,
Des voix douces et lourdes, des paroles fanées,
Comme une vieille ballade aux notes profondes,
Que fredonne l’oubli en gouttes perlées.
« Souviens-toi, âme errante, des terres traversées,
D’horizons lointains où brûlait le soleil,
Des jours où le cœur, ardent, se voyait couronné,
De rêves tissés sous un ciel vermeil. »
Mais je ne puis saisir l’éclat fragile,
Il glisse entre mes doigts comme un vent furtif,
Je sens seulement cette douleur subtile,
La quête éternelle d’un passé fugitif.
Je poursuis ma route, la forêt m’enlace,
Les branches se mêlent en entrelacs muets,
Chaque souffle d’air emplit l’espace
De l’éclat incertain de secrets passés.
Mais voilà que soudain résonne un soupir,
Un écho lointain d’une voix oubliée,
Un nom, un cri, un chuchotis qu’on ne peut trahir,
Un frisson de vie en l’arbre creusé.
« Cherche plus avant, demeure intrépide,
Sous l’écorce rugueuse, sous la terre profiçe,
La vérité dort là, dans la nuit placide,
Ton être s’y cache, en douce malice. »
J’entends dans mon cœur cette parole obscure,
Elle déchire un voile d’ombre tracée,
Je quitte le sentier, l’âme pure,
Vers la clairière où danse ma pensée.
Dans cette ouverture, où l’air se fait clair,
Un tronc abattu dévoile un vieux parchemin,
Gravé de signes antiques, de sages mystères,
Chemin vers mon histoire, vers mon destin.
Je prends ce fragment d’un monde ancien,
Il brûle doucement dans la lampe du rêve,
Je comprends enfin sans mot ni lien,
Que ma quête ne saurait mourir sans trêve.
Car mon passé est un livre toujours inachevé,
Une énigme sans fin, un souffle à comprendre,
Et même si l’oubli vient bientôt m’enlever,
Je marche, errant, pour mieux me répondre.
Ainsi j’erre encore, sur ce sentier perdu,
Cherchant le reflet d’un être enfui,
Les songes s’étirent, le temps se tendu,
Et l’histoire m’appelle : je ne suis nullement fini.
Le silence m’enveloppe, la nuit se fait douce,
Je suis l’ombre parmi l’ombre, l’écho d’un passé,
La forêt est un livre dont la couverture s’ouvre,
Vers l’infini des âmes, vers l’éternité mêlée.
Je marche, je cherche, dans l’ombre prodigue,
Sans fin, sans repos, au cœur des mystères,
Un errant parmi les bois, un reflet intranquille,
Dont l’histoire s’écrit au fil des pierres.
Et peut-être qu’un jour, dans le frisson du vent,
Cette quête s’achèvera dans une lumière,
Ou peut-être demeurera-t-elle, éternellement,
Le doux chant secret de ma nature fière.