Le Crépuscule des Couleurs
Un peintre errant, l’âme en lambeaux, égaré,
Cherchait l’éclat perdu des lumières aimées,
L’ombre d’un idéal jadis respiré.
Les dieux muets veillaient en un temple antique,
Où le temps, patient, avait usé les traits ;
Les colonnes, debout comme un rempart mystique,
Portaient au front les pleurs des siècles imparfaits.
Il entra, frôlant l’air où dormaient les poussières,
Saisit son pinceau nu, fragile extension,
Et fixa sur la toile, en touches de lumière,
L’éternité figée en sa dislocation.
Mais soudain, dans la nef où vibrait le silence,
Un pas léger troubla le deuil des monuments :
Une femme apparut, spectre de l’espérance,
Vêtue du crépuscule et des adoucissements.
Ses yeux étaient deux lacs où noyait la détresse,
Ses cheveux, un drapeau sur les champs de douleur ;
Elle portait au front la pâleur des promesses,
Et dans ses mains, un livre ouvert comme un cœur.
« Pourquoi peindre la mort quand la vie est si vaine ? »
Dit-elle, effleurant l’œuvre où saignaient les tons.
Sa voix était un chant où tremblait l’aube à peine,
Un ruisseau de printemps dans l’hiver des canons.
« Je cherche, répondit-il, une beauté première,
Un feu qui ne soit pas celui des incendies…
— Les couleurs de la paix sont des larmes guerrières,
Et l’art n’est qu’un reflet des soleils maudits. »
Elle montra le livre où luisaient des étoiles,
Des cités englouties, des jardins sans hivers :
« Voici les songes morts que la cendre nous voile,
Les mots ensevelis sous le bruit des éclairs. »
Il voulut la saisir, mais elle, immatérielle,
Se fondit dans les murs comme un dernier soupir.
Resta seul le parfum d’une rose ancienne,
Et l’écho d’un sanglot qui semblait souvenir.
Les jours suivants, il vint, hantant chaque pilastre,
Peignant sans trêve afin de fixer son visage,
Mêlant à l’ocre ardent le mauve des désastres,
Cherchant dans chaque trait l’empreinte d’un hommage.
Un matin, l’horizon rougit de feux sauvages :
Les canons aboyèrent leur haine sur les plaines.
Le temple, îlot fragile en la mer des ravages,
Devint le dernier rempart des douleurs humaines.
L’artiste, obstiné, drapé dans sa folie,
Créait entre les blocs un monde de clarté,
Quand retentit le choc d’une bombe en furie
Qui déchira les murs et leur sérénité.
Dans un cri, la voûte éventrée s’effondre,
Emportant avec elle et pinceaux et couleurs.
Il tomba, foudroyé, mais ses mains restèrent rondes,
Serrant contre son cœur le livre de douleurs.
Quand la poussière tomba, calmant sa violence,
On vit au fond des décombres, intact, étrangement,
Un tableau survivant à la nuit des silences :
Deux figures unies dans un geste d’apaisement.
L’une peinte d’espoir, l’autre de mélancolie,
Elles semblaient parler à travers l’aquilon,
Et le temple, blessé, gardait leur harmonie
Comme un ultime chant face au néant profond.
Le peintre ne fut plus qu’un nom sans sépulture,
La femme, un mythe errant dans les récits de peur,
Mais chaque nuit, dit-on, lorsque la lune obscure
Caresse les débris de marbre et de malheur,
On entend résonner une palette en larmes,
Et deux rires légers, mêlés aux vents amers,
Qui dansent avec l’ombre en de muettes armes,
Éternels prisonniers de la guerre en hiver.