Le Dernier Chant du Poète Maudit
Un jeune homme égaré, courbé sous le fardeau,
Traîne une ombre qui danse aux lueurs des vitraux.
Ses yeux, deux braises mortes où s’éteint le flambeau,
Cherchent en vain un mot pour apaiser les maux.
La guerre a dévoré les printemps et les eaux,
Ses doigts tordus par l’angoisse et les anciens sanglots
Tremblent sur un parchemin vide comme un tombeau.
Soudain, au cœur du chœur, une clarté se lève :
Une femme apparaît, spectre pâle qui rêve,
Ses cheveux dénoués semblent tissés de brume.
Son pas frôle les dalles, léger comme un adieu,
Et dans le silence noir où gronde un feu sans dieu,
Elle porte l’écho d’un monde qui s’effume.
« Ô toi dont les regards ont croisé les décombres,
Pourquoi pleurer l’azur quand saignent les décombres ?
Le poème est un cri que le néant dévore.
Mais viens, suis mon sillage au-delà des douleurs :
Je suis l’âme des mots que la mort ignore,
L’étoile qui se noie au matin des malheurs. »
Le poète maudit, saisi d’un frisson trouble,
Sent ses vers engourdis s’éveiller dans les strophes.
Il suit cette apparition, fragile et noble,
Dont la voix a le poids des premières éclosions.
Elle murmure des noms que la poudre a brûlés,
Des rêves éventrés sous les canons fêlés,
Et dans ses mains, des lys flétris par les balles
Exhalent un parfum de cendre et de scandales.
« J’ai marché parmi l’ombre où râlent les armées,
J’ai vu l’aube se taire au bord des tranchées closes,
Les enfants sans printemps, les mères sans rosées,
Et les amants unis par les mêmes chrysanthèmes.
Mais toi, dont le cœur bat au rythme des tambours,
Pourquoi chantes-tu l’homme, ses guerres, ses détours ?
N’entends-tu pas gémir l’espoir sous les décombres ? »
Il veut répondre, mais sa langue est de plomb,
Car elle est déjà loin, fantôme qui s’évade,
Effleurant les piliers comme une odeur de songe.
Soudain, le ciel se fend : un obus fracasse l’air,
La cathédrale tremble, ses arches éclatées,
Et dans un cri muet, la femme tombe à terre,
Son corps diaphane atteint par les fureurs de fer.
Le poète se rue, agenouillé dans l’âtre
Où son unique espoir se dissout en poussière.
Il presse entre ses doigts les lambeaux de lumière,
Mais elle n’est plus rien qu’un souffle évanoui.
Ses lèvres, autrefois sièges des désastres,
Balbutient un vers pur, né de leur double astre :
« Je t’offre ce qui reste quand s’efface l’éclair… »
La nuit avale tout. Les bombes recommencent.
Le poète, debout, face aux ruines immenses,
Saisit son encre noire et ses pages blessées.
Il écrit sans trembler le chant de l’adversaire,
Mêlant à chaque ligne son sang et ses silences,
Jusqu’à ce que son cœur, lassé de se taire,
Se brise en mille éclats sous les voutes glacées.
Et quand l’aube revint, lavant le champ de guerre,
On trouva son corps frêle au pied des saints de pierre,
Un sourire figé par la neige des morts.
Dans sa main, un poème aux strophes inachevées,
Où dansaient, entrelacés, leurs deux ombres rêvées,
Et ces mots, ultime écho des âmes troublées :
« L’amour n’est qu’un instant volé à l’univers. »
La cathédrale, un jour, effaça ses blessures,
Mais nul n’oublia l’homme aux rimes trop pures
Dont le dernier soupir fut un vers immolé.
Et sous les arcs brisés, quand le vent pleure encore,
On entend résonner, plus fort que les armures,
L’éternel sanglot d’une encre qui s’ignore.
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