Le Dernier Chant du Vagabond
Un homme au manteau râpé, flûtiste égaré,
S’enfonçait, pas à pas, sous les chênes noircis,
Portant l’âme en lambeaux d’un rêve déchiré.
Son violon muet, lacéré de blessures,
Murmurait des accords en échos étouffés,
Tandis que le vent froid, chargé de pourritures,
Lui volait ses refrains jadis ensorcelés.
Il cherchait Liberté, ce fantôme insaisissable,
Qui danse entre les troncs comme un feu follet vain,
Mais les ombres, toujours, épaississaient leur sable,
Et la nuit éternelle engloutissait son chemin.
Un jour, près d’un torrent aux larmes cristallines,
Il vit une ombre blanche errer entre les pins :
C’était une jeune femme aux mains de porcelaine,
Dont les yeux reflétaient l’aube des lendemains.
« Qui donc es-tu, dit-il, spectre ou vivante énigme ?
Pourquoi ces pleurs silencieux qui mouillent tes traits ? »
Elle répondit d’une voix de neige et de givre :
« Je suis l’âme enchaînée aux regrets du passé.
La forêt me retient, car j’y perdis mon frère,
Mort pour me sauver des griffes d’un torrent.
Depuis, je hante ces bois, prisonnière éphémère,
Et mon cœur reste ici, bien que mon corps soit absent. »
Le musicien, ému par cette plainte amère,
Lui offrit un sourire où brillait l’inconnu :
« Si tu me guides vers la clairière éphémère,
Où se cache l’esprit qui tient les fils du temps,
Je jure, par les cordes de mon luth funéraire,
De briser ton exil et tes tourments constants. »
Elle accepta d’un geste, et leur marche incertaine
Traça dans la brume un sillon de clarté,
Tandis que résonnait, sous la feuille incrédule,
Le duo frémissant de leurs destinées liées.
Ils passèrent trois nuits, trois jours sans nourriture,
Franchissant ravins creux et marais palpitants,
Jusqu’à l’antre obscurci d’une étrange sculpture
Où veillait, dit la femme, « un vieux génie attendanт.
Il exauce un vœu pur, mais exige en échange
Un sacrifice au prix des larmes de l’amour.
Mon frère, jadis, crut pouvoir le défier,
Et son sang a nourri les racines du hêtre lourd. »
Le flûtiste, calmé par la douceur des brises,
Possa son instrument sur les mousses des rocs :
« Ô toi, gardien des sorts, entends ma requête precise :
Libère cette femme, et prends mes jours en troc !
Car je n’ai plus que l’air d’un souffle évanoui,
Et elle mérite un ciel où danser sans remords. »
Un rire sourd monta des entrailles de pierre,
Et l’esprit apparut, courbé, les yeux sans feu :
« Ton cœur est généreux, mais connais-tu le piège ?
Elle partira libre… et tu deviendras dieu.
Non pas dieu de lumière, mais esprit des ténèbres,
Condamné à veiller sur ces bois à jamais,
À chanter sans repos les chansons funéraires
Qui bercent les regrets des ombres que j’ai prises. »
Sans hésiter, l’artiste embrassa son destin,
Tandis que la jeune femme, effarée, le supplia :
« Ne fais pas ce don cruel ! Ma vie est sans issue,
Et la tient vaut bien plus qu’un destin sans pitié ! »
Il lui tendit sa main, y déposa un sourire,
Puis, tourné vers l’esprit, prononça son serment.
Un éclair déchira la voûte nocturne,
Et soudain, elle fut… libre. Lui, lentement,
Sentit son corps durcir, ses veines se changer
En branches tortueuses, son sang en sève amère.
Son violon tomba, se brisa sur la terre,
Tandis qu’il murmurait : « Adieu, ma douce chimère… »
Depuis, dans la forêt, quand la lune est altière,
On entend une plainte au rythme des ruisseaux :
C’est l’arbre aux doigts de vent qui joue une prière,
Mélodie éternelle pour l’amour envolé.
La femme, chaque automne, erre près des racines,
Cherchant en vain les yeux de celui qui s’offrit,
Et l’écho répéte, dans les feuilles chagrines :
« La liberté se paie au prix d’un infini… »
« `