Le Dernier Crépuscule du Peintre Maudit
Un château se dresse, spectre de pierre froide,
Ses tours éventrées par les griffes de l’émouche,
Gardant dans ses flancs morts le secret de ses voûtes.
Là vient errer un homme au regard de tempête,
Portant l’âme en lambeaux et les doigts tachés d’encre,
Peintre dont le génie, autrefois si poète,
Se meurt comme un soleil étouffé sous les cendres.
Il cherche en ces débris un souffle, une étincelle,
L’éclair qui percera les ténèbres du vide,
Tandis que dans son cœur, ombre fidèle et frêle,
Rôde le souvenir d’un amour intrépide.
Clémence, ô doux fantôme aux lèvres de pénombre,
Toi qui dormis jadis sous les lauriers en fleurs,
Ton rire était la source où buvaient ses peintures,
Ta main guidait ses traits vers les sacrés couleurs.
Mais le destin jaloux, verrouillant ses paupières,
Avait pris ton haleine un matin de vendanges,
Laissant l’artiste seul face à ses fronts sévères,
Sans autre compagnon que l’écho de ses langes.
Depuis, il erre, aveugle à tout sauf au néant,
Cherchant dans chaque ombre un reflet de ta joue,
Espérant que la mort, d’un geste nonchalant,
Lui rendra le pinceau que le deuil lui déjoue.
Ce soir, poussé par un vent chargé de présages,
Il franchit le seuil noir de la demeure antique,
Où les murs effrités, tels des parchemins sages,
Murmurent des récits en langue mélancolique.
Un escalier en colimaçon, serpent blême,
L’engloutit lentement dans ses anneaux de brume,
Tandis qu’au-dehors hurle un chœur de voix suprêmes,
Comme si le ciel même en ses pleurs se consume.
Au terme de l’ascension, une salle immense
Ouvre ses flancs nacrés aux lueurs d’un pastel :
La lune, à travers vitraux brisés, y dispense
Un jour spectral dansant sur les fresques du ciel.
Et là, devant ses yeux éblouis d’espérance,
Un chevalet maudit, sculpté dans l’ébène noir,
Porte une toile vierge où gronde la souffrance,
Appelant le pinceau à son devoir sacré.
Soudain, dans un soupir de soie et de lumière,
Apparaît Clémence, non plus spectre éthéré,
Mais vivante, incarnée en splendeur coutumière,
Ses yeux deux diamants par les larmes lavés.
« Ami, dit-elle, écoute un murmure des astres :
Ce lieu est le théâtre où s’écrit notre histoire.
Pour que renaisse l’art qui fit battre ton cœur,
Il faut mêler nos sangs à l’encre de la gloire. »
Le peintre, ivre d’espoir et de douleur confuse,
Saisit les instruments de son antique foi,
Et sous leurs doigts unis, la palette s’excuse,
Rendant soudain aux tons leur éclat d’autrefois.
Il peint. D’abord le ciel, immense plaie pourpre,
Où se tordent les nues en dragons flamboyants,
Puis les murs du château, titans de pierre sur l’heure,
Renaissant de leur cendre en colosses voyants.
Clémence, à ses côtés, modèle de tendresse,
Verse dans chaque trait un fluide vital,
Et sous leurs mains conjointes, la toile qui se dresse
Absorbe l’univers en un cri cristallin.
Mais voilà que la nuit, sentant l’enchantement,
Serre autour du donjon ses griffes de ténèbres.
Le vent devient serpent, la lune diamant
S’éteint dans un halo de présages funèbres.
« Continue ! » crie l’ombre aux accents de Clémence,
Tandis que ses cheveux, soudain fils de la nuit,
Se mêlent aux pigments en danses décadentes,
Faisant de chaque boucle un pinceau qui détruit.
Le peintre sent sa force aspirée par l’œuvre,
Chaque coup de couteau lui vole un jour de vie,
Mais dans ses yeux persiste une flamme d’or claire :
Racheter par l’art pur leur amour qui dévie.
Enfin, quand le tableau touche à son agonie,
Clémence tendrement effleure son front pâle :
« Vois comme nos destins en ces lignes s’unissent,
Notre amour renaîtra sous la cendre aurorale. »
Mais soudain, le sol tremble, les murs crient vengeance,
Le château, réveillé par l’audace du geste,
Exige en sacrifice l’âme qui le dispense
De sa prison de temps où son orgueil s’atteste.
Clémence, ange de braise aux ailes de pigments,
Se jette dans la toile en un ultime élan,
Son corps devient lumière, son souffle argument
Pour sceller à jamais le pacte sanglant.
Le peintre, foudroyé par cette apothéose,
Tente en vain d’arracher son amour au néant,
Mais la toile se referme en écrin de chlorose,
Emprisonnant Clémence en sourire figé.
Demeuré seul, il voit la grande salle pâlir,
Les couleurs de son œuvre en cendres se dissoudre,
Le château tout entier commence à s’effondrer,
Anéanti par l’acte qui le fit redouter.
Il tombe à genoux, serrant contre sa tempe
Le pinceau désormais sec comme un vieux roseau,
Tandis que dans ses yeux, l’ultime étincelle rampe,
Avant que ne s’éteigne à jamais son flambeau.
Au matin, les bergers trouvèrent son corps frêle,
Collé contre les murs d’une simple chaumière,
Sans château, sans tableau, sans trace éternelle,
Si ce n’est dans sa main, une boucle légère.
Et parfois, quand la lune argente les ravines,
On dit qu’un couple erre parmi les bruyères,
Lui murmurant des vers à des toiles divines,
Elle peignant l’amour en larmes printanières.
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