Le Dernier Éclat du Ciel
Foulait un pont désert où pleuraient les hivers,
Sous un ciel éventré par les griffes de la rime,
Tandis qu’un déluge épais noyait l’écho des vers.
Son pinceau, orphelin des couleurs de naguère,
Cherchait en vain l’éclat d’un matin envolé ;
La guerre avait terni les rêves de la terre,
Et l’horizon n’était qu’un linceul constellé.
Soudain, comme un reflet surgi du crépuscule,
Une ombre se dressa, fragile et sans armure,
Portant sur son manteau les stigmates du crépuscule,
Et dans ses yeux brûlait l’énigme de l’azur.
« Chercheur d’éternité, dit la voix diaphane,
Pourquoi peindre l’oubli quand la flamme s’étiole ?
Vois-tu dans ces débris l’aurore qui se fane,
Ou l’adieu des héros que la mitraille isole ? »
Le peintre, interloqué, sentit frémir sa toile :
L’inconnue avait les traits d’un ange foudroyé,
Ses cheveux dénoués cascadaient comme étoiles,
Et son souffle mêlait l’encens et le noyé.
« Je suis l’âme des ponts où s’abreuvent les larmes,
Celle que les obus n’ont jamais su nommer,
Je danse sur les fils que tranchent les alarmes,
Et j’offre aux sans-visage un fragment de clarté. »
Elle tendit une main où vibrait l’éphémère,
Invitant l’artiste à saisir l’instant qui fuit :
« Viens, capturer l’éclair avant qu’il ne s’altère,
Avant que le canon n’ensevelisse la nuit. »
Il suivit, fasciné, cette enfant du vertige,
À travers les gravats et les cris étouffés,
Où chaque pierre avait un sanglot pour prodige,
Et chaque flaque, un miroir de cieux déchirés.
Elle lui révéla les plaies de la bataille,
Les mots inachevés gelés sur les lèvres,
Les lettres sans destin qui jonchaient la mitraille,
Et les tambours muets roulant dans les fièvres.
« Vois-tu ces murs éclos en champignons de cendre,
Où jadis des amants traçaient leurs noms jumeaux ?
La guerre est un serpent qui dévore ses cendres,
Et transforme les chants en râles sans flambeaux. »
Le peintre, ému, trempa son pinceau dans la brume,
Croquant l’âpre douceur de ce monde éclopé,
Tandis que l’inconnue, spectrale et coutumière,
Disposait les débris en un autel drapé.
Mais soudain, un éclair fendit l’ombre complice,
Un rugissement sourd ébranla les pavés :
Le pont, géant blessé, ploya sous le supplice,
Et les eaux en furie engloutirent les navrés.
« Sauve-toi ! » cria l’ombre en un souffle de braise,
Poussant l’homme vers l’autre rive du destin,
Tandis qu’un obus fou déchirait la falaise,
Embrasant le tableau d’un geste assassin.
Il tomba, pantelant, sur la berge de boue,
Voyant s’effondrer l’arche où dansait la douleur,
Et dans les tourbillons de l’onde qui se joue,
Disparut à jamais l’énigme et sa pâleur.
Seul resta dans sa main un lambeau de mystère,
Un croquis épargné par les morsures du feu,
Où deux silhouettes, sous les plis du cratère,
S’unissaient enlacées dans un ultime adieu.
Depuis, lorsque la pluie enveloppe les ruines,
On dit qu’un spectre peint, au pinceau de sanglots,
Les visages perdus que la guerre assassine,
Et qu’il pleure, à jamais, l’éclat mort des chefs-d’œuvre.
Le pont n’est plus qu’un nom gravé dans les ténèbres,
Un soupir étouffé sous les cieux de basalte,
Mais dans chaque couleur qui se fane en funèbres,
Vibre l’âme d’un monde englouti par la faute.
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