Le Désert des Cœurs Inachevés
Et l’horizon qui saignait sous les griffes du soleil.
Là, marchait l’Homme aux Mains d’Argile, solitaire veilleur,
Sculptant des chimères dans le ventre brûlant du réel.
Son atelier ? Les dunes en flux, les rocs muets en exil,
Ses pinceaux : les rafales d’estoc qui griffent l’éphémère.
Il rêvait des cathédrales de brume, des visages sans profils,
Mais le monde buvait ses couleurs pour en faire un désert.
Un soir où la lune tissait des linceuls sur les crêtes,
Il vit danser une ombre au rhythme des fièvres anciennes.
Ses cheveux étaient nuits sans étoiles, sa robe un chant de tempête,
Et ses yeux, deux lampes d’ambre où brûlaient les antiennes.
« Es-tu réelle ou bien l’écho d’un rêve que j’ai taillé trop tard ? »
Murmura-t-il, mains tremblantes d’avoir cru aux mirages.
Elle répondit par un rire de source, un pas de léopard :
« Je suis celle qui hante les failles entre deux horizons sauvages. »
Il l’appela Eurydice-Sans-Nom, compagne des sables fous,
Elle lui offrit des nuits peuplées de constellations nouvelles.
Ensemble ils bâtirent un palais de sel, de lune et de courroux,
Où chaque grain dansait le martyre des amours éternelles.
Mais le désert jaloux grondait sous leurs pieds complices,
Il ourdit des pièges de soif, déroba leurs mots tendres.
« Tu ne peux aimer ce qui n’a ni chair ni cicatrice,
Mon âme est liée aux tourbillons qui déchirent les cendres. »
L’artiste alors forgea un cœur d’albâtre et de racines,
Un chef-d’œuvre vibrant où battait l’illusoire espoir.
« Prends ceci, que nos souffles ne soient plus orphelins,
Même si les dieux du vide en brisent le miroir. »
Elle pleura des larmes d’ambre qui figèrent en obsidienne,
« Vois comme nos destins sont écrits en alphabet de silex :
Tu es l’homme qui crée, je suis l’ombre qui se souvient,
Entre nous s’étend le gouffre où se noient les phénix. »
Ils luttèrent cent nuits contre les lois du néant,
Inventant des baisers qui défiaient l’érosion.
Mais chaque aube venait mordre un peu plus leur serment,
Effaçant leurs noms tracés sur l’autel des saisons.
Un matin crucifié sur des épines de lumière,
Elle lui tendit un collier fait de ses propres cheveux :
« Porte ceci lorsque tu façonneras ta dernière pierre,
J’y ai noué l’instant où nous fûmes presque dieux. »
Puis elle commença le lent travail de disparaître,
D’abord les doigts s’effilochant en brume légère,
Le corps devenant arche vide, prête à se répandre,
Et les yeux ces braises mortes qu’un souffle altère.
L’artiste étreignit le vide comme on épouse un fantôme,
Sa voix se brisant sur le requiem des ergs complices.
Il sculpta jusqu’à l’os ses mains, jusqu’à ce qu’il ne reste
Qu’une statue de sel pleurant des larmes de justice.
Les années passèrent, fauves aux pattes de silence,
Rongeant les contours de sa folie précise.
Un jour il s’allongea dans le lit des anciennes balises,
Et murmura à l’oreille du vent qui tout exise :
« Dis-lui que j’ai gardé les cicatrices du possible,
Et que dans mon dernier songe j’ai vu nos visages
S’unir enfin dans le grand œuvre indestructible –
Pas deux amants, mais l’unique étreinte des mirages. »
Le désert absorba ce chant ultime, ce sang de poète,
Et dressa pour lune une stèle de sable mouvant
Où se lisait encore, tracée par une main muette :
« Ci-gît l’amour qui crut vaincre l’instant en le créant. »
Maintenant quand sirocco pleure aux heures blêmes,
On dit qu’on entend deux voix tisser la même plainte :
L’une sculpte l’absence au burin des systèmes,
L’autre répond en écho de cendres et de contrainte.
Ainsi meurent les dieux que personne ne vient nommer,
Ainsi vivent les rêves que le réel condamne au vide.
Il reste ce collier de cheveux et de lumière fossile,
Et l’éternel désert – tombeau de l’amour homicide.
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