Le Désert des Retours Impossibles
Cheminait sans repos sous les feux du sirocco,
Ses yeux creusés par l’ombre et les lointains combats,
Portaient le deuil muet des espoirs engloutis.
Le sable, océan fauve où germe l’amertume,
Étirait devant lui son linceul de brume,
Et le vent, chien fidèle aux morsures de sel,
Râclait les souvenirs enfouis sous la chair.
Il avançait, courbé par le poids des absences,
Son âme, exsangue étui vidé de ses essences,
Traînant comme un boulet le remords tenace
D’avoir survécu seul au fracas des soldats.
Ses mains, jadis outils de violence obscure,
S’agrippaient à un sac de cuir rongé d’injures :
Là dormait, plié tel un secret maudit,
Un pli scellé de cire où son destin gisait.
La missive, promise à des lèvres chéries,
Avait traversé l’enfer des geôles flétries,
Miraculeux papyrus que le sang n’avait
Ni corrompu ni pris pour linceul indiscret.
Mais le guerrier, muré dans sa pudeur de glace,
Craignait plus que la mort les mots qu’il lui fallait
Dévoiler à celle dont les nocturnes rêves
Avaient tissé son cœur pendant les nuits sans trêve.
Les mirages, danseurs perfides du désert,
Lui montraient son village en reflet inversé :
Les puits y buvaient l’homme, les tours penchaient vers l’ombre,
Et son amour lointain, spectrale dans son antre,
Tendait des bras de brume où fondaient les regrets.
« Ô toi qui fis de moi ton fragile alphabet,
Ne vois-tu pas qu’enfin je reviens, ombre vaine,
Rapporter à ton seuil l’aurore et son haleine ? »
Mais le sable mouvant, sournois et patient,
Engloutissait les cris de son éloquence morte,
Et chaque pas creusait un peu plus le tombeau
Où germait la folie en ronces de flambeau.
Un soir où le soleil saignait sur les dunes,
Il vit jaillir du néant les formes incongrues
D’un caravansérail aux murs de pisé blond
Où vibrait un écho de rires d’autrefois.
Sous l’auvent de roseaux, une femme immobile
Filait l’or éphémère des heures inutiles.
Son visage, sculpté dans l’ambre du couchant,
Portait les traits aimés qui hantaient son tourment.
« Enfin ! » cria son âme en lacérant ses voiles,
Mais ses lèvres de craie et ses genoux de boise
Refusèrent l’élan vers ce bonheur miroir :
Il chut, corps disloqué, pantin sans vouloir.
Elle vint, sans hâte, ombre aux pieds nacrés de poussière,
Et pencha sur son front sa chevelure altière :
« Pourquoi m’offrir, soldat, ce visage durci
Quand ton cœur sait si bien qu’en ce lieu je suis
Depuis l’heure où ton glaive a tranché nos promesses,
Depuis que ton silence a scellé nos adieux ?
Tu portes dans tes mains la cendre de nos vœux. »
Alors, doigts tremblotants déchirant la couture,
Il lui tendit la lettre où sa tendre blessure
Avait noirci le papier de ses pleurs secrets :
« Prends ce dernier soupir de mes lèvres muettes,
Toi qui fus mon printemps en hiver permanent.
Lis, et que ton pardon lave ce cœur rampant. »
Elle déplia l’âme enfermée en ces lignes,
Et ses yeux, deux ruisseaux où nageait l’amertume,
Déchiffrèrent l’aveu qui dans l’encre se tord :
« Si tu reçois ces mots, c’est que je suis déjà mort.
J’ai fui, lâche, un combat où mes frères tombaient,
Préférant à l’honneur le souffle qui m’étreint.
Mais pire que la honte est l’amour qui m’oblige
À mendier l’oubli pour cet acte indigne. »
Un silence éternel pesa sur le désert.
La femme, lentement, devint sable et lumière,
Et le vent emporta les mots impardonnés
Vers les cieux où roulait le disque condamné.
Le soldat, comprenant que son unique asile
N’était qu’un leurre ancien forgé par son exile,
S’effondra, buvant l’infini salin
Tandis que s’évadait son ultime destin.
Au matin, il n’était qu’une dune anonyme,
Où gisait, prisonnier d’une ironie sublime,
Le pli ouvert, mangé par les lèvres du vent,
Et le désert chantait son hymme triomphant :
« Je suis le seul amant qui jamais ne trépasse,
Le gardien des serments perdus dans mes espaces.
Tout homme qui me brave emporte dans ses flancs
La graine de l’oubli dont je nourris mes champs. »
L’astre, témoin muet de cette tragédie,
Enroula dans ses feux la scène accomplie,
Et sur le monde entier, morne et prédestiné,
Couvrit d’un linceul d’or le héros profané.
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