Le Jardin des Adieux Éternels
Un chevalier errant, que les destins martyrisent,
Foule d’un pas meurtri les sentiers inconnus,
Portant l’exil au cœur comme un glaive ingénu.
Son armure, jadis étincelante et fière,
N’est plus qu’un linceul froid que la rouille altière
Dévore lentement, telle une ombre jalouse
Rongeant l’éclat fané des promesses d’épouse.
Il avance, guidé par un songe obstiné,
Vers un jardin secret au lointain couronné
De murailles de brume où dansent les sylphes pâles,
Gardiennes des amours enfuis en d’autres strales.
Là, sous les arbres d’or aux murmures anciens,
Une femme l’attend, spectre aux cheveux liés
De lianes d’argent et de larmes obscures,
Dont les yeux sont deux lacs reflétant les blessures
Des siècles oubliés où leur serment naquit
Dans un monde éclipsé que le temps interdit.
« Ô toi que j’appelais ma lumière éphémère,
Vois comme le destin moissonne nos prières »,
Dit-elle en effleurant sa joue d’ambre pâlie,
Tandis qu’un vent maussade égrene la folie
Des pétales tombés en pluie ensanglantée,
Symbole d’un amour à jamais mutilé.
« Ce jardin, ultime asile où nos âmes s’enlacent,
Se meurt, car les décrets du firmament l’effacent.
Chaque fleur que tu vois n’est qu’un soupir gelé,
Chaque fruit un regret que l’aurore a volé.
Pour sauver ce qui reste de nos vœux sublimes,
Il faut qu’un cœur loyal, épris de nos abîmes,
Offre son sang vermeil aux racines des lys
Qui boivent les adieux des amants engloutis. »
Le chevalier, ployant sous le fardeau du rite,
Sent vibrer dans sa chair l’appel du sacrifice.
« Prends ce qui fut mon souffle, et que l’éternité
Te pare d’un printemps jamais révoluté. »
Il saisit la dague aux reflets de tristesse,
Celle-là même qui scella leur allégeance
Quand les astres jumeaux unirent leurs éclairs
Pour illuminer l’ombre où germaient leurs hivers.
« Arrête ! » crie la nuit d’une voix érodée,
Mais la lame déjà, dans un élan d’ivresse,
Tranche le fil ténu où dansent les destins.
Le jardin tout entier frémit, tel un enfant
Témoin du crépuscule avalant son étoile.
Le sang du preux ruisselle en rubis sur la toile
Des lys assoiffés, dont les pétales blancs
Se teintent de pourpre aux râles triomphants.
L’épouse, pétrifiée en statue de brume,
Voit ses cheveux d’argent se défaire en écume,
Ses mains, jadis si chaudes, fondre en vapeur froide,
Tandis que renaît l’arbre où leur amour se voile.
« Tu m’as rendu le monde et perdu à jamais »,
Murmure-t-elle avant que son corps défait
Ne se disperse en cendre au vent de la mémoire
Qui emporte les noms écrits en lettres noires.
Le chevalier s’effondre, un sourire éclipsé
Aux lèvres, contemplant le jardin apaisé :
Les roses ont refleuri, plus éclatantes qu’ambre,
Les fontaines chantent l’hymne des cieux en chambre,
Et dans l’étang miroir où nagent les regrets,
Un visage surgit — le sien, déjà secret.
Son âme, désormais liée aux racines profondes,
Devient le gardien silencieux des mondes
Que le jardin abrite en son sein éternel.
Mais chaque nuit, quand meurt l’adieu solennel,
Une ombre en pleurs erre entre les buissons tristes,
Cherchant en vain les yeux de celui qui subsiste
Dans chaque pétale tombé, chaque frisson
Des branches où résonne un ancien chant d’amour.
Et le vent, lourd de mots que nul ne peut entendre,
Porte l’écho lointain d’un cœur prêt à se rendre.
Ainsi finit l’histoire où deux destins unis
Furent par le sacrifice à jamais infinies.
Le jardin resplendit, mais son éclat nocturne
N’est que l’astre voilé d’une douleur nocturne.
Et si parfois, au bord des fontaines d’argent,
Vous entendez gémir un soupir urgent,
Sachez que c’est l’amour, fantôme inconsolable,
Qui pleure l’exilé de sa tour immuable.
« `