Maxime que je trouve en mon âme tracée :
Est-ce de son repos ou de son mouvement
Que partent les rayons de notre entendement ?
Son repos est l’effet d’un état léthargique.
Inhabile à répondre à la force énergique
De l’esprit, qui s’élance au milieu des éclairs,
Et qui, dans un clin d’oeil, embrasse l’univers :
Est-ce le mouvement devenu plus rapide
Par les chocs redoublés d’un tourbillon fluide,
Qui pourrait triompher, par ses efforts hardis,
De la stupidité de nos sens engourdis ?
Quel prodige inouï! quelle métamorphose!
L’effet de la matière est plus grand que sa cause !
Le pouvoir de s’étendre et de changer de lieu
Enfanterait l’esprit, cette image d’un
Dieu !
Mais comment le transport de l’espace à l’espace.
Le droit d’avoir deux bouts, un centre, une surface,
De fuir, de retourner avec célérité,
Donnerait-il au corps cette sublimité ?
L’atome, renfermé dans son court atmosphère,
Peut-il, comme mon âme, étendre sa carrière, Échapper sans efforts aux chaînes de mes sens,
S’ouvrir même les deux par ses regards perçants ?
Peut-il dans le passé chercher les faits célèbres,
Du profond avenir éclairer les ténèbres,
Créer, ressusciter les arts et les talents,
Et fixer en un point l’immensité du temps ?
Peut-il, pour dire plus, recourbé sur lui-même,
Réfléchir, consulter s’il me hait, ou s’il m’aime,
Revenir sur ses pas, et, variant toujours,
D’un mouvement physique interrompre le cours ?
Dans des abstractions, où l’esprit le plus sage
S’enfonce avec frayeur et souvent fait naufrage,
Pourrait-il démêler jusqu’aux linéaments,
Qui nuancent entre eux nos divers sentiments,
Diviser des degrés obscurs, métaphysiques.
Et suivre des calculs profonds, géométriques ?
L’homme de ses plaisirs, comme de ses douleurs.
Dans un prisme épuré sépare les couleurs ;
Une teinte de plus en fait la différence,
Il saisit finement cette faible nuance ;
Il perce la nature avec sagacité
Et sonde ses replis avec subtilité ;
Le compas à la main, il mesure, il divise
Jusqu’au point idéal que l’esprit analyse :
Mais quel est le compas habile à mesurer
Le doute, le remords qui vient me déchirer ?
Ajoutons à ces traits ces élans de notre âme.
Ces désirs infinis d’un bonheur qui l’enflamme,
Ce vide de nos cœurs, cette ardeur de chercher,
Cette soif qui demande un
Dieu pour l’étancher :
De là ce sentiment, cette intime assurance
De voir finir le corps ; et non pas l’espérance.
Ce gage précieux de l’immortalité,
Cet enfant de nos cœurs et de la vérité !
L’être simple n’a rien qui puisse le dissoudre :
Tout être composé doit se réduire en poudre.
Il faudrait que
Dieu même anéantît l’esprit ;
Pur, il est séparé du germe qui périt ;
Dans les êtres vivants la mort est la rupture
Du pivot qui soutient leur faible architecture;
Qui n’a point de ressorts l’un dans l’autre enchâssés
Ne craint point de les voir rompus et dispersés :
L’âme est inaltérable ; et, grand
Dieu ! ta justice
Demande qu’elle vive, ou pour punir le vice
Des tributs des mortels et d’honneurs entouré,
Ou pour aider le juste indigent, ignoré,
Qui, fui par les grandeurs, les méprise en silence,
Et borne à la vertu toute son opulence.
Ainsi s’annonce à nous l’éternel
Créateur,
De l’esprit et des corps sage modérateur.
Des êtres dispersés la terre est la semence :
Tout change, dit
Lucrèce, ainsi que tout commence,
Plus la fatale mort ensanglante ses mains,
Plus les tombeaux féconds reproduisent d’humains ;
Ainsi tout est sorti du sein de la nature.
Et tout ce qui périt devient sa nourriture :
Lucrèce, ouvre les yeux, vois l’immense grandeur
Du gouffre dont tu veux sonder la profondeur.
Vois ce globe étonnant dont tu n’es qu’un atome,
Ces astres où se perd l’orgueil de l’astronome;
Et toi-même, égaré dans l’abîme des cieux,
Tremble d’avoir proscrit leur maître impérieux :
Ah ! si des passions la voix séditieuse
N’eût armé contre lui ta muse ambitieuse ;
Si l’orgueil, cet opprobre et ce fils des talents.
N’eût guidé dans l’erreur tes pas encor tremblants,
Tu n’eusses point osé, dans des écrits impies,
Vomir contre le ciel le poison des harpies;
Au rang des animaux abaisser les mortels,
À la face des
Dieux foudroyer les autels ;
Et pour combler enfin ta vanité profonde,
Te nommer l’architecte et le moteur du monde.