Le Naufrage de l’Âme Égarée
Pieds nus sur le pont qui geint sous les rafales,
Guette l’écume en furie où se meurent les saisons,
Tandis que la nuit tisse un linceul de rafales.
Son cœur, coffre scellé où dorment des serments,
Bat au rythme des vagues éventrant la carène.
Il murmure un nom perdu dans le chant des tourments,
Celui qu’un autre siècle emporta vers la plaine.
« Ô toi, mer sans pardon, mère aux seins de cristal,
Rends-moi le droit d’aimer sous tes lames voraces !
J’ai troqué mes printemps pour un rêve ancestral,
Et vois ton sourire amer creuser mes propres traces. »
Mais Neptune en courroux lance ses chiens d’abîme,
La coque craque ainsi qu’un fruit mûr sous l’orage.
L’homme, spectre ébranlé, défie le ciel sublime :
« Prends ce corps, mais épargne l’espoir du rivage ! »
***
Souviens-toi, voyageur, quand la terre était tendre,
Quand tes pas effleuraient les lys au bord des sources.
Une ombre aux cheveux d’orge aimait t’y voir descendre,
Porteur de sel et de contes venus des courses.
« Reviens avant que l’hiver ne morde les prairies »,
Disait-elle en nouant à ton cou des herbiers.
Mais ton sang contenait cette soif de patries
Que seuls les flots béants pouvaient désaltérer.
***
Maintenant que la mort claque ses ailes froides,
Tu songes à ses mains tissant l’attente vaine,
À ce jardin fané par les neiges trop roides,
Au serment érodé comme un fard sur l’arène.
« J’ai cru que les étoiles navigueraient pour moi,
Que l’amour resterait tel un phare immobile.
J’ai suivi les sirènes de l’orgueil et de l’effroi,
Et perdu dans mes voiles le sens de l’asile. »
***
Un éclair déchirant révèle la falaise
Où se brisent en chœur les squelettes d’épaves.
Le navire, martyr livré à son malaise,
Entonne son requiem sous les risées slaves.
C’est alors qu’apparaît, dans la gueule du gouffre,
Une barque fantôme aux rames de lumière.
Un vieillard y trône, gardien du souffre,
Ses prunelles d’argent lisant ta dernière prière.
« Jeune fou assoiffé d’infini et de brumes,
Tu as méprisé l’ambre des matins fragiles.
La mer ne rend jamais ce qu’en secret elle hume,
Mais offre un choix ultime : périr… ou délivrer. »
Le voyageur se dresse, écorché vif par l’âme,
Et comprend que les dieux jouent avec le silence.
Son regard embrasse enfin la vérité en flamme :
L’amour n’est qu’un naufrage où l’on se sacrifie.
« Prends mon souffle, dit-il, pour qu’en quelque rade
Une autre âme s’endorme à l’abri des noroîts.
Que mes fautes s’en aillent en cendres et en cade,
Et que vive à jamais ce que j’aimai sans droits. »
***
Le vieillard étend sa main couleur de tempête,
Le vent se tait soudain comme un loup qu’on enchaîne.
Le corps tombe à genoux, libéré de sa quête,
Tandis qu’au loin surgit une voile incertaine.
Sur le quai où l’attente a sculpté des statues,
Une femme aux yeux creusés par le sel des années
Sens frémir dans sa gorge un sanglot qui se tue :
L’océan lui rapporte un chapelet d’années.
La barque du passeur, glissant sur l’eau apaisée,
Dépose à ses pieds nus une épave sublime :
Un coffret de corail où dort, intacte, brisée,
La lettre qu’il traça dans les plis de l’abîme.
« J’ai choisi de mourir pour que ton aube naisse,
Pardonne ce guerrier parti sans un adieu.
Mon amour fut toujours ce rivage sans cesse
Où ton nom dansait mieux que les astres en feu. »
***
Depuis ce jour, quand rôde au large la tourmente,
Les marins entendent sous les cris des mouettes
Une voix qui transforme en berceuse la tourmente,
Et des lys refleurir sur les tombes muettes.
Quant à celle qui veille au bord des marées hautes,
Elle sait que l’amour ne meurt pas, mais se change
En phare éternel guidant les âmes en fautes
Vers ce port invisible où les sacrifices chantent.
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