Le Naufrage des Serments
Où les toits mordus par les lichens
Penchaient leurs dos de bêtes effarées,
Veillant l’horizon vide et les vents anciens.
Là, chaque aube naissait en exil,
Sans réveiller les portes scellées,
Et la mer, plus loin que le péril,
Roulait son chant de nuit écaillée.
Guillaume, enfant des vagues voraces,
Avait juré sur l’ambre d’un soir
De revenir, fût-ce entre les glaces,
À celle dont les yeux gardaient l’espoir.
Éléonore, ô fragile offrande,
Avait noué dans ses cheveux bruns
Un ruban teint de lueurs d’océan,
Fragile armure contre l’inconstant.
« Je prendrai les colères de Neptune
Et les ferai plier sous mon défi,
Ton nom sera ma seule tribune
Quand l’abîme ouvrira son parvis. »
Mais le destin, ce pêcheur morose,
Tissait déjà dans l’ombre des fils,
Où chaque nœud portait en éclose
La promesse d’un adieu accompli.
Les adieux avaient des goûts de sel rare,
L’étreinte un naufrage suspendu,
Et le navire, cygne funéraire,
Partit mordre l’écume éperdu.
Les jours filèrent comme anguilles vives,
Éléonore, en robe de brouillard,
Gréait l’attente en gestes furtifs,
Graissant les gonds du temps qui part.
Elle montait chaque nuit la falaise,
Phare humain dans le vent qui mordait,
Brûlant ses yeux aux braises des pleurs
Pour que la houle lui rende son décret.
« Vagues, disait-elle aux lames sourdes,
Portez-lui mes silences tissés,
Mais si son corps devient votre sonde,
Cachez-leur le chemin du passé. »
Or, là-bas, où le ciel se déchire,
Guillaume luttait contre l’effroi :
Le vaisseau, marionnette de cire,
Craquait sous les poings noirs des soirs.
Les cordages, serpents en furie,
Fouettaient l’air chargé de défi,
Et l’équipage, spectre qui crie,
Se noyait dans l’hymne infini.
« Éléonore ! » hurlait sa prière,
Mais les typhons, dieux sans oreilles,
Déchiraient l’appel en poussière,
Jetant son cœur aux pieuvres voraces.
Dans sa poche, un médaillon froid
Gardait une boucle de cheveux,
Petit soleil contre l’aquilon,
Dernier rempart avant le néant.
La lame vint, ultime maîtresse,
Briser le pont comme un cristal,
Et l’homme, nuptiale promesse,
Glissa vers les grottes de coral.
Ses doigts tracèrent sur l’eau salée
Un « toujours » que le courant mangea,
Tandis qu’au loin, la destinée
Tordait le fil qui les sépara.
Au village, les saisons passèrent,
Rongeant l’attente en champignon,
Éléonore, spectre qui serre
Un ruban fané contre son front.
Les enfants fuyaient son pas d’automne,
Ses yeux deux phares éteints,
Où dansait une mer folle et jaune
Et l’absence sans repentir.
Un soir où la brume était suaire,
Elle crut voir, dans les rochers,
Une ombre portant son suaire
Et murmurant des mots liés.
« J’ai tenu mon serment, ô tendre,
En revenant par les chemins
Que creusent les noyés sous l’onde,
Pour effleurer tes doigts humains. »
Elle courut, dérive ultime,
Ses pieds saignant sur les galets,
Et la mer, telle une sublime,
Ouvrit ses bras de pâles reflets.
Leurs ombres, enlacées sans vie,
Descendirent au royaume vert,
Où les amants que le sort délie
Deviennent courants, algues, hivers.
Le village maintenant s’effrite,
Sous les crachats des goélands,
Les portes ne grincent plus leurs gîtes,
Le phare est mort, ses yeux brûlants.
Seul persiste, quand la lune pleure,
Un chant montant des profondeurs :
Deux voix mêlées, l’une qui pleure,
L’autre qui berce les douleurs.
Et chaque nuit, quand le vent joue
Avec les débris de serments,
La mer dépose sur les rouilles
Un médaillon vide, à jamais.
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