Le Dernier Éclat du Théâtre Oublié
Où jadis le feu aux planches éclatait, explose,
Se dresse seul, faiblement, un être en retrait,
Artiste fatigué, au regard égaré.
La scène est déserte, mais son âme y danse,
Traçant en silence les gestes d’antan,
Chaque pli du velours, chaque éclat de lumière
Réveillent en lui l’éclat d’une ère lumière.
Voici qu’il se souvient, avec un souffle tremblant,
Des soirs où, triomphant, sous le lustre brillant,
Il jouait, emporté par ce frisson puissant,
La foule en délire, le cœur palpitant.
L’orchestre, tout vibrant de cordes frémissantes,
Emplissait le grand théâtre de notes scintillantes.
Les mots par lui dits étaient des flèches d’or,
Les regards s’allumaient sur un vaste décor.
Mais le temps, ce sculpteur aux mains invisibles,
A ciselé sa face et ses jours risibles,
Emportant les rires, fanant les rubans,
Fermant doucement ce palais de velours blanc.
Sur les murs décrépis, s’effacent les fresques,
Et les sièges rongés par l’usure grotesque
Gardent l’empreinte sourde des pas lourds et pressés
Qui jadis se hâtaient, fébriles, amusés.
Artiste solitaire, il marche entre les rangs,
Ses pas ne brisent plus que le silence pesant.
Son cœur, alourdi d’une mélancolie sourde,
S’accroche à l’écho d’une gloire qui s’écroule.
Il murmure aux étoiles la trame déliée,
Cette trame où danse une jeunesse fiévreuse,
Quand le théâtre brûlait comme une flamme ardente
Et qu’il en était roi, l’âme triomphante.
« Ô jours éclatants, murmure-t-il,
Pourquoi fuir si vite sans jamais un avis?
Vos rires, vos chants, vos ambitions sublimes,
Sont comme des feuilles mortes emportées par le vent amoureux. »
Et son regard se perd dans le néant des loges,
Où le passé s’attarde en voiles et en fardeaux,
Tandis que sa mémoire, porteuse de rêves,
Tisse un pont fragile entre le passé et l’ombre.
Alors qu’il s’incline devant un proscenium vide,
Une voix presque éteinte franchit sa torpeur :
« Veux-tu jouer encore ? Pourquoi renoncer ?
Un dernier acte peut renaître de l’obscur. »
Mais il se tait, l’âme capturée par le doute,
Le poids du temps l’écrasant dans sa chute.
N’est-il plus qu’une ombre hantant ces murs inertes?
Un vestige figé au seuil des œuvres mortes ?
Parfois il s’assied, son esprit dérivant,
Dans l’écho d’un monde effacé, palpitant,
Revivant les cieux couverts d’applaudissements,
Qui furent son royaume, son seul firmament.
Les rideaux déchirés frémissent sous la brise,
Comme pour l’inviter à belle reprise.
Mais il hésite encore, le cœur en suspens,
Ne sait pas s’il peut quitter le silence écrasant.
L’avenir lui sourit, incertain et obscur,
Peut-être un signe, un dernier murmure?
Ou bien c’est la fin, l’éternel départ,
Où le temps le reprend, le noie dans l’écart.
Artiste aux souvenirs aux mille nuances,
Tu marches, suspendu entre joie et absence,
Ton histoire s’écrit dans l’air qui s’efface,
Ton drame s’incline dans cette vieille place.
La scène est vide, mais la vie s’y accroche,
Et peut-être qu’un soir, sous le pâle éclair,
Une main se tendra, un souffle s’élèvera,
Ranimant la flamme d’or d’un vieux théâtre.
Le rideau, en suspens, ne tombe pas encore,
Le dernier acte attend dans le silence d’or.
L’ombre et la lumière s’élancent en sursis :
Le temps suspend ton pas, et l’histoire se poursuit…