Le Serment des Falaises
I
Lorsque le navire éventré par les lames
Secoua son corps meurtri contre l’écueil,
Aurélien crut voir, dans le sel de ses larmes,
Les remparts de l’île où saigna son orgueil.
La guerre avait sculpté ses nuits en cryptes sourdes,
Son âme, écorce vide où rôdait le canon,
Mais sous les orangers, près des vagues profondes,
Une ombre en robe blanche attendait son pardon.
II
Éloïse… Son nom flottait sur les embruns
Comme un chant de sirène oublié des marées.
Dix ans que le canon scellait leurs sorts communs,
Dix hivers que la brume avait leurs voix murées.
«Je reviendrai», avait-il juré sous les étoiles,
Gravé leur double sang au tronc du vieux cyprès.
Mais l’acier des combats dévore les toiles,
Et les cœurs les plus fiers nourrissent les regrets.
III
L’île ouvrit ses bras froids de pierre et de lichen.
Le soldat, spectre aux mains tremblantes d’amnésie,
Chercha dans chaque vague un reflet de son chien,
Dans chaque roche noire un éclat de l’Asie.
La maison veillait toujours, fenêtres en prière,
Mais sur le seuil dansant des herbes folles,
Une enfant aux cheveux de nuit et de lumière
Fixait l’horizon vide où dansaient les violes.
IV
«Où donc est Éloïse?» — Sa voix rouillée d’absence
Fit trembler les hibiscus sous le vent marin.
L’enfant montra la mer d’un geste d’innocence :
«Elle danse avec l’écume au pays du matin.
Chaque aube, elle défait les nœuds de la marée,
Chaque soir, elle boit la lune aux récifs brûlants.
Hier, elle a légué ses pas à la vallée…
Les vivants ne suivent pas les morts impatients.»
V
Le vent coupa son souffle en lames de cristal.
Aurélien marcha vers les tombes mouvantes
Où la terre et la mer jouaient leur duel fatal.
Il reconnut l’endroit où leurs mains enfantines
Avaient mêlé les fleurs aux baïonnettes rouillées,
Où le serment jailli de leurs lèvres ardentes
Avait cru défier le temps et ses nuées.
Mais le ciel pleuvait déjà des cendres sanglantes.
VI
Sous un amas de rocs que les goélands fuient,
Un chiffon de satin claquait comme un reproche.
Le soldat déchiffra, dans les plis qui s’enfuient,
L’histoire d’un adieu plus lourd que les cloches.
«Ils m’ont dit ton corps pris dans les sables du Nord,
Ton nom effacé des registres des armées.
J’ai porté notre pacte jusqu’au dernier port,
Mais les vivants sans toi sont des îles fermées.»
VII
La nuit tomba, pareille à du vin noir versé.
Aurélien sentit monter des profondeurs
Le rire de la mer qui sait tout emporter.
Il défit son manteau lourd de peurs et de pleurs,
Posa sur les galets son cœur en météore,
Et marcha vers les flots où dansait un reflet
De robe blanche aux plis d’écume et d’aurore.
Le sel scella sa plaie. La vague but son secret.
VIII
Au matin, l’enfant vit deux cygnes à l’amure
Dessiner dans le ciel un double tourbillon.
Le vieux cyprès pleurait une sève plus pure,
Et la mer rendit sourd son éternel sillon.
L’île garde en son sein ces amants sans visage
Dont les ombres le soir épousent les falaises,
Tandis qu’au fond des eaux, libre de tout corsage,
Flotte un serment brisé que plus personne ne pèse.
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