Le Serment des Ombres Éternelles
Pleurent l’écho des pas sur les dalles funèbres,
Se dresse un temple ancien, pâle enfant des tempêtes,
Dont les murs ont bu l’âme éparse des prophètes.
Là, sous un ciel de bronze où nul chant ne résonne,
Un chevalier errant, courbé tel une automne,
Foule d’un pas morose un sentier de glaïeuls
Qui saignent sous le poids des adieux solennels.
Son armure, jadis miroir des batailles folles,
N’est plus qu’un linceul froid où dansent les lucioles ;
Les rubis de son glaive ont perdu leur courroux,
Et son cœur bat au rythme des vagues sans joug.
Il vient, pèlerin pâle, offrir à ces décombres
Ce qui reste en son sein : l’amour, fragile ombre,
Et le nom d’une absente, à jamais scellé
Dans le marbre mouvant de son exil doré.
Ô temple ! Colosse noir veillant les solitudes,
Tes colonnes sont des doigts tendus vers les nues,
Tes vitraux éteints sont des yeux sans prunelles
Où se reflète encore l’éclat des chairs mortelles.
Le chevalier s’arrête. Une voix sans visage,
Plus douce que le vent ligoté de présages,
Murmure à son oreille un pacte ténébreux :
« Donne-moi ton sang pâle, et je rendrai les cieux. »
Il gravit les degrés, fantôme en proie au rêve,
Tandis que les remparts, telles des lèvres brèves,
Chuchotent l’ancien rite où s’abreuvaient les rois —
Celui qui donne sa vie emporte avec lui
L’aurore prisonnière aux geôles de la nuit.
Dans la nef sans clarté, cent statues de cire
Pleurent des diamants que le temps martyrise,
Et sur l’autel moussu, bercé d’un chant lointain,
Un calice d’onyx attend l’ultime étreinte.
« Ô gardien des limbes, entends ma vérité :
Je n’ai plus que ce souffle où danse sa beauté.
Prends ce qui fut mon âme, et que ton art sublime
Lui rende les printemps que l’exil lui dénie. »
L’air vibre. Un sourire ancien flotte entre les pierres.
Le temple tout entier exhale une prière,
Et soudain, par les fissures du crépuscule,
Jaillit un feu liquide aux reflets de pendule.
Le chevalier sourit à l’image chérie
Qui palpite en son sein — douce agonie —
Et plonge dans le vase où luisent les poisons
La lame qui jadis fit trembler les saisons.
Son sang, vin précieux aux senteurs de vendanges,
Coule en fleuve rebelle où nagent des louanges,
Et chaque goutte rouge, en tombant sur l’autel,
Éveille un pétale de lumière immortel.
Mais voilà qu’au dehors, sous la lune malade,
Une ombre se déchire — ô douleur ! ô bravade ! —
C’est elle, l’absente, aux cheveux de nuit claire,
Qui court vers ce dénou comme un lièvre éphémère.
Trop tard. Les portes d’or se ferment dans un cri,
Scellant pour l’éternité le donateur meurtri.
Elle frappe le bronze de ses mains enfantines,
Appelant en vain l’âme aux lèvres assassines.
À l’intérieur, l’homme aux paupières de cendre
Sent le temple entier devenir cendre et se rendre
Au vertige nacré d’un matin retrouvé.
Il voit — dernier miracle — un jardin pavoisé
Où celle qu’il aima rit sous les cerisiers.
« Vis, » murmure-t-il, tandis que ses doigts altiers
Effleurent une image déjà dissipée…
Puis il n’est plus qu’un souffle aux plis de la pensée.
Dehors, la femme pleure. Ses larmes de cristal
Creusent dans la pierre froide un lit baptismal
Où repose à jamais, statufié de brume,
Le guerrier qui choisit que l’amour se consume.
Le temple disparaît, larve dans le brouillard,
Emportant avec lui ce double don épars :
Un exil terminé, un exil qui commence,
Et deux cœurs désunis par tant de providence.
Depuis, quand vient l’hiver aux haleines de sel,
On dit qu’une ombre erre près du mont originel,
Cherchant parmi les rocs un visage de fièvre,
Tandis qu’au fond des nuits, un rire de lèvres
Répond aux sanglots longs des corbeaux égarés —
Éternel dialogue entre deux exilés.
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