Le Serment des Vagues
Une île se dresse, spectre au linceul de brume,
Où le temps, lent bourreau, suspend son glaive impur,
Gardien des souvenirs que la vague consume.
Là vit un vieil ermite aux cheveux d’argent pur,
Dont les yeux, deux lagunes où s’éteignent les astres,
Cherchent en vain l’écho d’un passé disparu,
Tandis que les récifs lui murmurent: «Désastre!»
Il fut un temps lointain où ce roc inhabité
Voyait sous son ciel bleu danser deux âmes sœurs,
Lui, jeune et libre ainsi qu’un oiseau des tempêtes,
Elle, brise incarnée en robe de liqueurs.
«Jurons, avait-il dit, devant les dieux muets,
De n’être qu’un seul souffle en cette arche éphémère,
Et si l’un doit partir, que l’autre à tout jamais
Soit changé en rocher par la main de la mer!»
Vingt printemps ont neigé sur leur bonheur fragile,
Vingt hivers ont scellé leur pacte solennel,
Mais un soir où le vent portait des cris hostiles,
Un vaisseau fantasma dans l’ocre du couchant.
«Des hommes!» s’écria la femme au cœur fidèle,
Et dans ses yeux brilla l’espoir d’un autre monde,
Tandis qu’il lui prenait la main, tremblant : «Cruelle,
Notre serment est écrit dans l’écorce de l’onde!»
La nuit tomba, peuplée de murmures mauvais,
Le feu des matelots dansait sur l’eau traîtresse,
Elle errait sur la grève où roulaient ses cheveux,
Lui priait les trépieds d’écumer leur détresse.
«Vois comme ils ont des fruits, des tissus, des bijoux!
— Vois plutôt notre amour, trésor que rien n’achète.
— Et s’ils nous emmenaient? — Le ciel nous jugerait tous.
— Je ne puis oublier que je suis fille enquête…»
Quand l’aube déchira son manteau de ténèbres,
Le navire avait fui, laissant sur le sable fin
Une empreinte légère et des débris funèbres :
Un collier de corail, un voile de satin.
«Tu restes!» cria-t-il, ivre d’un fol espoir,
Mais elle, se penchant sur l’horizon liquide :
«Je n’ai plus de racines pour croire à ton pouvoir,
Adieu ; que ta colère accomplisse ton vide.»
Alors, ô terreur sainte! ô vengeance des flots!
Le ciel vrilla son dôme en un noir tourbillon,
La foudre déchira la voûte aux mille éclos,
Et la mer souleva son monstrueux billon.
Il vit sa bien-aimée, statue de lumière,
Se pétrifier lentement sous son regard,
Tandis qu’une voix grondait : «Garde ta prisonnière,
L’exilé sera roi d’un désert de brouillard!»
Depuis ce jour maudit où les destins rirent,
L’homme erre sur les monts que la brise corrode,
Portant dans sa poitrine un astre qui se meurt,
Et sur son front ridé, la couronne de l’eau.
Il parle aux goélands qui fuient son ombre vaine,
Invente des printemps où revit son visage,
Et boit dans les embruns l’amer parfum des peines
Qui firent de son cœur un naufrageux rivage.
Un matin où l’automne agonisait plus pâle,
Une barque apparut, coquille en proie au sort,
Portant un enfant nu dont le regard s’exhale
Vers l’île qui tendait ses bras de squelette mort.
Le vieillard, sentant fuir ses dernières faiblesses,
S’élança dans les flots que la houle argentait :
«Viens! Je te donnerai mes ultimes tendresses!»
Mais l’enfant, souriant, déjà s’évaporait.
Alors, rompant le pacte où sa vie était liée,
Il jeta sa dépouille aux dragons écumeux,
Brava les dieux marins dont l’haleine est prière,
Et nagea vers la mort en appelant les feux.
La mer, se refermant sur ce crime sublime,
Rendit au ciel brisé son éternel soupir,
Tandis qu’au fond des eaux, dans un dernier abîme,
Deux ombres s’enlaçaient pour mieux se désunir.
Maintenant, quand la lune argente les collines,
On entend un duo de sanglots infinis
Mêler aux chants des vents ses plaintes cristallines :
Lui maudit la liberté qui tua son amour,
Elle pleure l’idéal des chaînes trop bénies,
Et l’île, éternisant ce double aveu du jour,
Leur offre pour linceul la pourpre des agonies.
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