Le Serment évanoui dans les brumes de l’absence
Un guerrier épuisé vers l’île se dirige,
Son armure rouillée par les pleurs de la guerre,
Ses yeux creusés par l’ombre et les champs de misère.
Il gravit la falaise où jadis, enlacés,
Deux cœurs avaient juré l’éternité glacée :
« Même si les cieux s’éteignent et que les mers se taisent,
Nos âmes s’uniront où les astres se braisent. »
Mais le destin, cruel sculpteur de nos débris,
Avait lié leur sort aux caprices du gris…
L’île, jadis oasis bercée de tendresses,
N’était plus qu’un linceul de rocs et de détresses :
Les vergers où dansaient les parfums enivrants
Gisaient, squelettes nus sous les vents dévorants ;
La cabane de bois qu’ils avaient tant chérie,
N’abritait plus que l’ombre et les rats en furie.
Il appela son nom, voix rauque et sans écho,
Comme un chant étouffé dans le néant de l’eau :
« Ô toi qui fis de moi plus qu’un homme éphémère,
Réponds à ma détresse, ô mon unique mère ! »
Seul le ressac moqueur, infatigable et sourd,
Lui renvoya l’horreur de son propre amour sourd.
Soudain, près d’un bouleau tordu par les orages,
Il vit une ombre errer entre les coquillages :
Une robe d’argent, des cheveux de lin clair,
Fantôme familier qui hantait son enfer.
Il courut, déchirant ses mains aux ronces noires,
Criant : « C’est donc ici que finissent nos gloires ?
Je reviens, comme promis, malgré les mille morts,
Malgré le feu, la faim et les sablers qui mordent ! »
Mais l’apparition, telle une feuille au vent,
Se dissipa dans l’aube aux lèvres de levain.
Alors, il se souvint… La veille des adieux,
Quand l’aube étreignait l’île en son manteau de dieux,
Ils avaient scellé leur pacte en un lieu secret,
Creusant sous un menhir un nid de lauriers frais :
Deux lettres, deux anneaux, un ruban de jeunesse,
Gages de leur serment défiant la tristesse.
« Si l’un de nous succombe aux pièges de l’absence,
Que l’autre aille chercher sous la pierre du temps
Les preuves de l’amour plus fort que les tourments ! »
Il gratta la terre humide avec ses ongles fous,
Et trouva le coffret… vide, comme un aveu.
Les mots s’étaient fanés, les anneaux disparus,
Le ruban n’était plus qu’un lambeau de vertu.
Un parchemin plié gisait, trace ultime :
« Pardonne, ô mon aimé, le mensonge sublime…
Quand tu liras ces mots, je serai déjà loin,
Ensevelie au cœur d’un éternel témoin.
La guerre a pris mon frère, la mer a pris mon père,
Et toi, miroir de moi, tu n’étais que chimère.
J’ai choisi d’effacer nos pas du livre noir
Pour que tu puisses vivre, et non pas survivre. »
Le soldat, foudroyé, comprit l’immense leurre :
Elle avait tout sacrifié pour qu’il demeure.
Sa voix se brisa net dans un sanglot sans fin,
Tandis que le soleil mordait l’horizon vain.
Il prit le vieux ruban, ultime reliquaire,
Et l’enroula autour de son cœur sanctuère.
Puis, marchant vers les flots qui hurlaient son remords,
Il s’enfonça dans l’onde où s’achèvent les sorts.
L’île, témoin muet de ces amours funèbres,
Gardera à jamais leurs silencibles cendres :
Chaque vague qui meurt sur le sable mouvant
Répète leur serment… évanoui de vent.
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