Le Serment Évanoui dans les Roses
Portant l’écho lointain des tambours de l’enfer,
Son armure rougie par les soleils défunts
Craquait sous le poids lourd des serments enterrés.
Un jardin se dressa dans son rêve écorché,
Cité de lys muets où vibrait un silence
Dont chaque pierre ancienne, à demi-penchée,
Murmurait le passé d’une obscure romance.
Les rosiers enlacés, gardiens taciturnes,
Déroulaient leurs bras verts sur les murs en ruine.
Leurs épines semblaient des lames nocturnes
Où saignait encore l’astre des amorçes fines.
C’est là qu’il l’avait vue, un crépuscule pâle,
Ses cheveux dénoués en cascade de nuit,
Ses mains tissant le vent d’une écharpe d’opale
Qui dansait avec l’ombre aux rythmes inouïs.
« Je jure par les fleurs, par les sources secrètes,
Par l’éternel retour des saisons en miroir,
De protéger ce lieu des tempêtes muettes,
Et d’y revenir même après mon dernier soir. »
Leurs doigts avaient scellé ce pacte avec la terre,
Mêlant sang et rosée en offrande au jardin.
Mais le destin, tisserand des routes amères,
Ourdit dans l’invisible un funeste dédain.
Les guerres l’appelèrent au-delà des collines,
Là où les cieux se fendent sous les cris d’acier.
Il partit en laissant, sur les marches divines,
Une rose fanée et l’ombre d’un baiser.
Les années ont rongé les sentiers de mémoire,
Les mousses ont couvert les dalles du serment.
Le jardin, sous la lune, exhalait son histoire
En spirales d’encens et soupirs de tourment.
Un jour, il revint, l’âme en lambeaux de fièvre,
Traînant comme un linceul son manteau de vaincu.
Mais les portes d’ébène, verrouillées de lèvres,
Ne reconnurent pas l’homme qu’il était devenu.
« Ô vous, roses témoins de nos heures parfaites,
Ouvrez-moi ce royaume où s’endort mon espoir !
J’ai combattu les dragons, traversé les prophètes,
Mais mon cœur n’est plus qu’un glaive sans mancheoir. »
Le vent seul répondit par des ricanements,
Les pétales tombèrent en pluie de mépris.
Les statues pleuraient des larmes de ciment,
Et la source chantait un hymne interrompu.
Il vit alors dans l’eau, reflet halluciné,
Une forme danser parmi les nénuphars.
C’était elle, son visage de lune fané,
Ses yeux deux astres morts éteints dans le brouillard.
« Pourquoi as-tu laissé mourir nos symphonies ?
Le jardin n’est plus qu’un tombeau sans clarté.
Chaque rose que tu vois est une agonie,
Chaque arbre un prisonnier de ta déloyauté. »
Il voulut traverser le miroir liquide,
Saisir cette ombre aimée échouée au passé.
Mais son corps n’était qu’une armure vide
Dont les mailles rouillées se défirent dans l’air.
Le sol trembla soudain comme un cœur qui se brise,
Les murs s’effondrèrent en poussière de mots.
Le chevalier tomba, perdant jusqu’à sa brise,
Tandis qu’un rire amer, venu de nulle part,
Scandait l’effondrement des promesses anciennes.
Il comprit trop tard que les jardins secrets
Ne survivent jamais aux amours inachevées,
Et que les serments sont des oiseaux muets
Dont les ailes se glacent au contact du réel.
Sa main chercha en vain la tige d’une rose,
Mais chaque fleur n’était qu’un couteau de gel
Taillant dans sa poitrine une ultime névrose.
Quand l’aube se leva, lavande et criminelle,
Rien ne subsistait plus du jardin d’autrefois.
Seul un arbre tordu, silhouette charnelle,
Montrait dans ses rameaux des épines de croix.
Et quelque part au loin, là où les rêves saignent,
Deux fantômes dansaient sur un rythme perdu :
Lui, chevalier fantôme aux paupières de peigne,
Elle, souffle de vent dans un luth défendu.
Leurs murmures grisés de parfums impossibles
Disent encore aux pierres, aux herbes, au néant,
Que les serments humains, fragiles et flexibles,
Sont les enfants maudits du rêve et du réel.
Ainsi meurt un amour qui crut défier l’heure,
Ainsi tombe un jardin privé de son printemps.
Il ne reste au voyageur qu’une lueur pleureuse,
Et l’éternel chagrin des adieux non rendus.
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