Le Serment Oublié des Ombres
Un soldat, las du front, marchait l’âme en lambeaux.
Ses yeux, deux lacs de brume où sombraient les flambeaux,
Cherchaient en vain l’espoir que la guerre avait traîné.
Son cœur, lourd de serments gravés sous les obus,
Portait l’écho lointain d’une voix tant aimée :
« Reviens, quoi qu’il advienne, au sentier embaumé
Où nos doigts s’enlaçaient aux lianes des buis. »
Mais le temps, ce larron, avait changé les mondes :
La forêt, autrefois temple aux clartés d’opale,
Étalait maintenant ses branchages morbides
Où roulaient des regards phosphorescents et pâles.
Il avançait, guidé par un instinct funeste,
Foulant les feuilles mortes en linceuls assemblées,
Quand soudain, dans un chœur de brises alarmées,
Un sanglot cristallin perça la nuit agreste.
« Ô toi que j’attendis sous les cieux outragés,
Est-ce ton spectre ami que la brume me jette ? »
La voix, née des troncs noirs où la sève était prête,
Résonna comme un glas au val désert plongé :
« Regarde ! En ces forêts où tu cherches ma trace,
Je ne suis plus que l’ombre errante des regrets.
Notre serment d’azur, les balles l’ont défait
Le jour où ton canon tonna sur mon terrasse.
Tu avais promis d’être au retour des lilas,
Mais les saisons trois fois ont pleuré sur nos marches.
Mon corps, frappé d’éclats, dormait sous les écorces
Quand tu foulais encor les plaines de combats. »
Le soldat, foudroyé, tendit ses mains tremblantes
Vers la forme vaporeuse aux contours de douleur,
Mais chaque frêle fil de l’apparition pleure
Se déchirait au vent comme une soie sanglante.
« Non ! Ce n’est point ainsi que devait choir notre histoire !
J’ai bravé mille morts pour retrouver tes bras.
Les dieux nous ont unis, qui pourrait rompre ici ? »
Hurla-t-il, ébranlant les mousses du territoire.
L’esprit, tel un miroir brisé par le chagrin,
Murmura dans un souffle où tremblait l’agonie :
« Vois comme les destins ont scellé notre vie :
Tu servais le devoir, moi j’épousais le thym.
Ce bois maudit m’enlace et retient mon essence,
Car j’ai trop attendu l’amour qui ne vient pas.
Pour briser ce cercueil de racines et de bras,
Il te faudrait mourir… ou renoncer à l’absence. »
Alors, dans un élan que dictait le trépas,
Le guerrier saisit son poignard de bataille.
« Si vivre est te trahir, que la mort me travaille !
Puisse notre néant s’unir dans le même las. »
Mais comme il s’apprêtait à trancher sa misère,
La forêt tout entière exhala un long cri.
Les branches enlacèrent son corps enseveli,
Les lianes nouant leur étreinte éphémère.
« Folie ! » clama l’âme en volutes de suie,
« Tu ne peux fuir ton rôle en ce drame fatal !
Va, porte ton fardeau de survivant brutal,
Et laisse-moi pourrir dans l’oubli qui m’ennuie. »
Le soldat, à genoux, sentit croître les liens
Qui mêlaient sa détresse au chêne séculaire.
« Je ne suis plus qu’un lierre à ton tronc funéraire,
Mon amour est la mousse au tombeau des anciens. »
Le jour se leva, pâle, sur deux spectres enchaînés :
Lui, fantôme guerrier hantant les clairières vaines ;
Elle, soupir figé dans les brumes sereines.
Leurs murmures, depuis, pleurent les destins fanés.
Et quand la lune rôde au-dessus des fougères,
On entend leur duo de sanglots infinis :
« Pourquoi l’homme promet-il ce que le temps nie ?
L’espoir n’est qu’un leurrier dans les bois mensongers. »
Ainsi va la légende, aux veillées de novembre,
Qu’on conte en frémissant près des feux qui s’endorment :
Deux âmes que l’amour et la guerre déforment,
Liant éternité à l’oubli des membres.
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