La Colline où s’abîme l’Homme
Où souffle un vent farouche aux colères ouvertes,
Avançait, seul, un homme au pas lent, désemparé,
Randonneur des âmes, par le sort usé, brisé.
Là-haut, sous le ciel dur, sans nuage ni espoir,
La terre mordait ses genoux, son front, son regard,
Le vent hurlait sans trêve, un chant de funérailles,
Où le vif souffle du monde à l’être se dénaille.
Il tenait ses mains nues, crevées de froid et de peine,
Défiant des rafales, fuyant cette arène,
Où la nature immense, insensible et souveraine,
Lui criait son destin d’homme éphémère et vaine.
« Ô vent, ferais-tu donc de moi ton pauvre jouet ? »
Murmura l’égaré, dans l’étreinte du secret,
« Pourquoi veux-tu que je plie, parmi tes flots puissants,
Alors que je cherche encore mille et un printemps ? »
Mais le vent ricana, parcourant l’altitude
Comme un ange de fer réduisant à la solitude.
Sous ses doigts invisibles, la chair humaine gémit,
Fragile coque d’os face au souffle qui la nie.
Un arbre aux branches nues, silhouette dépenaillée,
Dressait son dos courbé, par l’ouragan balayé.
Le randonneur s’appuya sur ce compagnon blafard,
En écho noir d’un être aux pas déjà brouillards.
Sa pensée vogua vers la vallée endormie,
Vers le doux temps d’enfance où le vent ne criait vie,
Où ces lèvres closes n’avaient pas connaissance
Que tout cœur battant ici n’est que brève errance.
Sur l’herbe sèche, ciselée par des pluies absentes,
Les heures s’enfilaient, lentes, persistantes, pésantes.
Il songea à la plaine, au monde en clair-obscur,
Mais la colline l’enchaînait à son funeste mur.
Plus haut, des nuages, sombres pavillons de guerre,
Se formaient en soufflant des ombres de misère,
Le ciel menaçait d’engloutir ce pauvre corps,
Cruelle mer d’orage où l’homme s’endort.
« Par quel signe suis-je venu affronter ta puissance,
Toi, l’invisible main de ce temps qui pense
Que l’homme, si subtil, n’est qu’une faible flamme,
Qu’un soupir sous la pluie, qu’un noyau d’infâme ? »
Il se rappela alors la beauté des matins,
Ces jours où l’air caressait le front des chemins,
Où l’aube d’or permettait l’espoir d’un voyage,
Et où battre le pas ne rimait point avec naufrage.
Mais l’instant présent lui révélait l’abîme,
La chute inexorable où tout être s’anime,
Le costume de chair bientôt pris par la terre,
Soumission cruelle aux éléments, mystère.
La colline craquait sous l’assaut des bourrasques,
Des griffes de l’hiver, des processus baroques.
Le randonneur chancela, le souffle court, alangui,
Dans l’âpre firmament, devenant peu à peu nuit.
« Mon souffle s’éteint, murmura-t-il à l’ombre,
Mais dans ce dernier souffle, la vérité m’encombre :
Tout ce que j’ai cru force n’était qu’illusion,
Face à ce vent qui rit de mon orgueil, ma raison. »
Un dernier regard au monde aux teintes fanées,
Aux collines, aux vallées, aux fleurs effeuillées ;
Puis nul bruit que l’ouragan, nul geste que le vent,
Emportant l’homme seul dans un dernier tourment.
Ainsi périt l’éphémère, la grandeur fugace,
Dans l’étreinte fatale des colères tenaces,
Sous le ciel de pierre, un corps se rend au néant,
Frêle écho d’un rêve offert aux éléments.
Ô fatalité qui lie le sort et la lumière,
Qui fait ployer l’homme sous le poids de la terre,
Laisse dans son silence un murmure ancien,
Le cri d’une vie qui s’en va vers rien.