L’Écho des Cendres
Pénètre au crépuscule un village de pierre
Où les toits inclinés pleurent sur les rivages
D’un passé engourdi sous la cendre et le lierre.
Son ombre, longue écharpe aux franges de détresse,
Traîne sur les pavés que la mousse a mordus.
Les portes closes sont des paupières qui se pressent
Devant ce songe errant venu des inconnus.
Il cherche, dit la brise en glissant sur les tuiles,
Un nom perdu au fond des légendes d’antan :
Celui qui jadis noua ses ailes immobiles
Avant que l’abandon ne ronge son printemps.
***
Au puits décrépit où chantonne l’eau nocturne,
Un vieillard aveugle tisse un fil d’épouvante :
« Qui donc frappe à la nuit d’un pas si taciturne ?
L’heure est maucre, étranger, et la terre est mouvante. »
L’orphelin tend sa main brûlée de questions,
Ses doigts tremblants épars comme feuilles de saule :
« J’ai suivi les reflets, les fuyantes chansons,
J’ai marché sur les os blanchis de la parole.
Montrez-moi les chemins qu’ont piétinés les miens,
La trace d’une voix qui m’appela sans naître.
Je suis l’écho sans voix, le sang sans origine,
L’éclat du miroir brisé qui ne peut se connaître. »
Le vieil homme se tait. Sa barbe de givre
S’effiloche en soupirs sur le velours du vent.
Un hibou perce l’ombre où le secret s’enivre
De danser avec l’âme des morts déroutants.
***
Au matin froidissant, l’enfant suit les méandres
D’un sentier escarpé que hantent les loups maigres.
Les pierres tombales, gardiennes des cendres,
Murmurent des récits en alphabet funèbre.
Il gravit la colline où les ifs sépulcraux
Dessinent des signaux vers l’éternel silence.
Là, sous un ciel de plomb strié de vols de corbeaux,
Une maison se tord dans sa vieille souffrance.
Porte ouverte : un râle. Escalier : gémissement.
Les murs suintent la peur des aveux étouffés.
Dans un grenier obscur, sous des linges de temps,
Un coffret rouillé livre ses alphabets.
Lettres jaunies, mots fous griffés par une mère
Dont les larmes ont bu l’encre des vérités :
« Je partis sur la mer des mensonges amers,
Portant l’enfant maudit que les astres ont jeté.
Mon ventre fut la tombe où germa ton supplice,
Mon sang un poison lent pour tes nuits sans sommeil.
Fuis ceux qui savent tout, fuis la vérité traîtresse,
Car elle est le serpent lové dans ton soleil. »
***
Le vent se lève, âpre, chargé de souvenirs.
L’enfant lit et relit ces syllabes cruelles,
Cherchant en vain l’amour parmi les délires,
Un geste de pardon dans ces pages mortelles.
Soudain, le sol vacille. Un rire froid s’élève
Du puits de la maison, gorge profonde des ombres.
Une femme surgit, spectre aux cheveux de brume,
Ses yeux deux gouffres noirs où se meurent les nombres.
« Tu viens pour me voler ce reste de tourment ?
Ma chair fut ton linceul, mon souffle ta malédiction.
Pars, avant que mon cœur ne te livre aux torrents
Qui nettoient la terre des fruits de la passion ! »
L’enfant tend les bras vers ce fantôme hostile,
Mais déjà les parquets craquent comme un destin.
Le plancher se dérobe en un sourd gémissement,
Et le grenier avale et le livre et l’étreinte.
***
Il tombe. L’air devient épais comme du sang.
Les murs sont des mains froides qui pressent ses tempes.
En bas, la mère rit dans son éternel présent,
Tandis que les poutres chantent un requiem d’étables.
Au fond du précipice où l’attendent les rats,
L’orphelin voit danser les lettres du mensonge :
Elles forment le nom qu’il chercha tant là-haut,
Écrit en os brisés sur un drap de mensonge.
« Mère… » Le dernier mot s’étouffe dans la chute.
Le corps heurte la terre où pourrissent les fleurs.
La femme éteint ses yeux, crache dans la voûte,
Et referme le livre ouvert sur la douleur.
***
Au village, personne ne parle de ce drame.
Les puits gardent le secret des eaux assassinées.
Seul un saule pleureur, près de la vieille rampe,
Agite ses cheveux sur une tombe innomée.
Parfois, les nuits d’hiver où la neige est mémoire,
On entend un sanglot qui glisse entre les branches.
C’est l’écho de l’enfant qui cherche encore à croire
Qu’un amour maternel peut traverser les manques.
Mais la vérité n’est qu’un miroir de brume
Où se brisent les cris des âmes condamnées.
Elle danse, ironique, au bord des précipices,
Et rit quand les regards plongent dans ses nuées.
***
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