L’Écho des Cendres
Un spectre aux doigts d’argent effleure les chemins,
Son souffle agite un linceul de brumes anciennes,
Et son cœur, autrefois chair, n’est que tambour lointain.
Sous les chênes courbés par le poids des absences,
Il cherche un nom perdu dans les plis du néant,
Tandis que les bouleaux, gardiens du silence,
Susurrent des secrets à l’oreille du vent.
Un matin de givre où la terre se fendille,
Son œil vide capte un éclat de parchemin :
Une lettre scellée par des larmes d’enfant,
Enfouie sous les mousses et les ans orphelins.
L’enveloppe, froissée, exhume un tendre crime —
L’écriture tremblée d’une main qui n’est plus —
Et les mots dévorés par l’encre et par le temps
Jaillissent en sanglots sous les cieux incredules.
*« Ô toi qui liras ceci quand je serai ombre,
Ne cherche pas mes pas aux sentiers de l’hiver.
J’ai joué parmi les tombes que l’herbe encombre,
Mon rire était pareil au chant des primevères.
Mais un soir, le lac noir m’a pris pour épouse,
Sans couronne, sans voile, sans clameurs ni regards.
Les roseaux ont trahi ma course douloureuse,
Et l’eau froide a scellé mes lèvres de brouillard.
Pourtant, près du vieux saule où niche la chouette,
J’ai enterré mon âme en un coffret de bois.
Cherche-le sous la pierre où la luciole veille,
Et rends-moi mon soupir avant la nuit des rois. »*
L’âme errante, saisie d’un frisson de mémoire,
Foule les feuilles mortes en un pas haletant.
Vers le saule pleureur où gémit l’aquilone,
Elle traîne son deuil comme un manteau flottant.
La pierre se dévoile, humide de rosée,
Et le coffret vermoulu, plein de terre et d’oubli,
Renié par les vers, craque sous ses caresses —
À l’introit, un ruban de soie a presque pâli.
Dans l’écrin repose une poupée de cire,
Ses yeux de verre éteints fixent l’éternité,
Un médaillon d’argent colle à sa poitrine pâle,
Où deux noms enlacés dorment, pétrifiés.
L’esprit reconnaît l’objet d’une vie antérieure :
Cette figurine fut son seul témoin d’amour
Quand, petite, elle errait dans la maison obscure,
Cherchant en vain les bras qui devaient fuir un jour.
Soudain, le médaillon s’ouvre avec un soupir,
La miniature tombe en poussière au vent —
Il ne reste qu’un mot gravé sur le métal froid :
*« Pardonne »* — et le vent l’emporte au-delà des vivants.
L’âme crie sans voix, étreint la poupée morte,
Mais la cire fondue glisse entre ses doigts blancs,
Tandis qu’au loin, le lac, tel un miroir qui sort
De ses rêves, lui tend ses bras étincelants.
Elle court, folle, vers les eaux qui l’ont trahie,
Ses pieds transpercent les flots d’un pas de revenant,
Et dans les profondeurs où la lumière meurt,
Elle distingue un visage aimé, pâle et présent.
*« Mère ? »* murmure-t-elle à la forme lointaine,
Mais l’image se trouble en remous déchirants.
Le fond du lac n’est qu’un cimetière de branches
Où dort, intact, le corps d’une enfant de dix ans.
Ses cheveux d’algues noirs entourent un squelette,
Sa robe de lin clair flotte comme un adieu,
Et dans sa main crispée, une autre lettre sèche
Répète : *« Je t’attends depuis que Dieu l’a voulu. »*
L’âme comprend alors le drame immémorial :
La mère, un soir d’angoisse, ayant perdu sa proie,
S’était jetée aux flots pour retrouver son fruit,
Mais le destin avait lié leurs deux destins en proie.
Depuis cent ans, chacune erre en un monde inverse,
L’enfant dans les forêts, la mère sous les eaux,
Chacune croyant l’autre encore en vie quelque part,
Chacune écrivant des mots que nul n’entend jamais.
Le spectre prend la lettre et la serre sur lui,
Puis, d’un geste apaisé, déchire le parchemin.
Les débris papillons s’envolent vers la surface,
Et l’enfant d’autrefois, enfin, lâche son chagrin.
Elle s’allonge auprès du squelette qui fut sien,
Enlace les os gris d’une étreinte ultime,
Et sent peu à peu son essence se dissoudre
Dans l’eau glacée où se mêlent leurs deux victimes.
La forêt, au matin, ne garde aucune trace —
Seul un coffret rouillé gît sous le saule vieux.
Les promeneurs parfois y lisent une énigme :
Deux noms effacés par la pluie et les cieux.
Et quand la lune roule son œil pâle entre les branches,
On dit qu’un duo de voix sanglote dans les joncs,
Répétant sans espoir une lettre imaginaire
Où il était écrit : *« Je t’aime pour toujours. »*
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