L’Éphémère et les Sables
Un enfant aux yeux d’ambre errait, seul entre tous.
Ses pas creusaient la terre où brûlait l’infini,
Cherchant dans l’horizon un secret enfoui.
Orphelin du destin, né sous les astres froids,
Il portait en sa chair la cicatrice des lois
Que dictent les sirocs aux lèvres de tourment,
Et les nuits sans échos, peuplées de firmament.
Un matin, le soleil, cruel et magnifique,
Déchira le linceul des brumes prophétiques.
Il vit alors surgir, telle un mirage ardent,
Une tente de soie où dansait le vent blanc.
Là, sous un voile d’or aux frémissements furtifs,
Une ombre se mouvait, geste pur, rythme intuitif.
Ses cheveux déroulaient des ruisseaux de nuit noire,
Et ses mains dessinaient des archipels d’espoir.
« Ô toi, spectre des sables, es-tu rêve ou présage ? »
Murmura l’orphelin, envoûté par l’image.
La voix qui répondit fut un chant de cristal :
« Je suis l’eau qui se dérobe au désert fatal.
Mon nom est Ophélie, héritière des dunes,
Condamnée à tracer des chemins de fortune.
Mais qui donc es-tu, toi, l’enfant aux pieds meurtris,
Qui défies les serpents et les soleils aigris ? »
Il conta son histoire en phrases entrecoupées :
Naissance sans berceau, nuits de peurs escamotées,
L’énigme d’un linceul trouvé près d’un puits sec,
Et ces mots gravés là : « Cherche au-delà du fleuve. »
« Le fleuve ? » dit la vierge, « Il n’est que légende ancienne,
Depuis que les glaciers ont quitté la centaine.
Mais viens, étranger pâle, partage mon repas,
Peut-être qu’en nos cœurs germera un compas. »
Les jours filèrent doux, tissant d’étranges toiles :
Lui, l’errant aux regards brûlants comme des étoiles,
Elle, la sédentaire aux chants ensorceleurs,
Échangeant sans le dire un amour en rumeur.
Ils lisaient ensemble les signes du silence,
Devinaient dans les vents des langues de semence,
Et lorsque tombait l’astre au lit des oasis,
Leurs doigts se frôlaient, furtifs, sous les cyprès.
Mais un soir, le destin frappa son glaive austère :
Un cavalier surgit, vêtu de poussière amère.
« Ophélie ! Le clan exige ton retour :
Ton père, roi des sables, te réclame avant l’aurore.
Tu dois épouser l’ombre qui garde nos frontières,
Car les alliances apaisent les colères. »
La vierge pâlit, telle une lune en exil,
Et l’enfant sentit croître un orage subtil.
« Pars avec moi », dit-il, « Fuyons ces lois barbares !
Nous irons vers le sud où dorment les bazaars.
Je serai ton bouclier, ta coupe, ton étoile,
Et nous boirons la vie à la source des voiles. »
« Hélas », soupira-t-elle, « Écoute, ô bien-aimé :
Mon sang est un pacte avec le sol inflammé.
Si je romps les chaînes de mes ancêtres sourds,
Le désert dévorera tes rires et mes jours. »
Ils restèrent muets, front contre front collés,
Tandis que s’effilait le fil des destinées.
Quand l’aube éventra l’encre bleue du néant,
Elle n’était plus là qu’un parfum de néflier.
L’orphelin, hagard, mordit l’air qui la pleure,
Et courut vers le nord, ivre de douleur pure.
Trois lunes il marcha, trois lunes à gémir,
Ses lèvres desséchées répétant : « Tout mentir ! »
Enfin, il aperçut, sous un ciel de braises,
La tente nuptiale où dansait la fournaise.
Ophélie, voilée de larmes et de soie,
S’avançait vers l’autel où l’attendaient les rois.
Un cri fendit l’espace, arraché des abîmes :
« Prends ma vie en échange, ou brise ces victimes ! »
Mais les gardes armés, statues de granit,
L’entourèrent d’un cercle où le sang fut prédit.
La vierge, alors, leva ses mains vers les nuées :
« Par les sables et l’air, que nos vies soient liées ! »
Un éclair zébra l’ombre, un tonnerre explosa,
Et le sol se fendit en une rose noire.
Quand la poussière tomba, calme comme un suaire,
On ne vit plus que deux corps enlacés de lumière,
Transformés en buisson aux épines de jade,
Dont les fleurs chaque nuit exhalent une odeur fade
De larmes et de sel, de promesses sans noms…
Et le vent porte au loin leur murmure : « Jamais. »
Depuis, quand la tourmente arrache aux sables mous
Un écho de sanglots qui ressemble à des coups,
Les nomades savants détournent la paupière :
« C’est l’Éphémère encore qui cherche sa première
Étoile à l’horizon où s’éteignit l’amour…
Priez pour que demain ne soit pas son dernier jour. »
« `