L’Éphémère et l’Étoile
Un poète maudit, couronné de brumes,
Arpente les sentiers que la lune devine,
Ses pas creusant l’écho des marées sublimes.
Ses cheveux, buissons noirs gorgés de naufrages,
Abritent des secrets que le vent lui dérobe ;
Son cœur, cadran lunaire aux chiffres sauvages,
Scande l’heure immobile où s’éteignent les robes.
Il parle aux rocs muets, à la mer qui bégaie,
Ses strophes font frémir les algues en exil,
Mais chaque mot gravé devient un coquillage
Que le ressac dévore en un soupir fragile.
Un soir où l’océan retenait son haleine,
Une étoile tomba dans ses paumes de cendre.
Elle palpitait, froide et pourtant si humaine,
Comme un dernier baiser qu’on ose à peine rendre.
« Je suis l’ultime sœur des constellations »,
Murmura-t-elle ainsi qu’une lyre brisée,
« Mon corps n’est qu’un débris de vieilles espérances,
Prends-moi avant la nuit où je serai rasée. »
Le poète, penché sur cette âme sidérale,
Y vit trembler le deuil des amours éclipsées.
Il l’abrita d’un chant plus tendre que les plages,
Et l’étoile pleura des larmes nacrées.
Les jours tissèrent l’or d’une étrange chronique :
Elle, fragment céleste aux paupières d’azur,
Lui, funambule obscur des rimes ironiques,
Unis par le destin qui scelle les augures.
Il lui conta comment les saisons le dévorent,
Comment ses vingt printemps brûlaient comme l’encre,
Comment chaque aurore le vieillissait encore,
Malgré l’éternité promise par les livres.
« Je suis l’enfant flétri du temps qui s’accélère,
Ma jeunesse s’écoule en sablier fêlé.
Ce soir, je suis plus vieux que le cri des tonnerres,
Demain, je ne serai qu’un nom mal épelé. »
L’étoile, suspendue aux lèvres du poète,
Lui offrit en écho sa propre déréliction :
« Moi dont la lumière est une agonie muette,
Je meurs depuis qu’un Dieu scella ma fiction. »
Ils inventèrent alors un langage d’abîmes,
Mariant les éclairs aux sanglots des marées.
La nuit les enveloppait de ses mains unies,
Tissant pour eux un linceul de rosée sacrée.
Mais l’île, spectatrice aux entrailles de pierre,
Guettait leurs rendez-vous sous les cieux salés.
Elle savait qu’un pacte avec la lumière
Ne peut conjurer l’heure où tout est violé.
Un matin où la brume étouffait les embruns,
Le poète trouva l’étoile moins brillante.
Son corps diaphane avait des reflets défunts,
Ses mots tombaient en cendre avant de s’envoler.
« Regarde », dit-elle en montrant l’aube naissante,
« Chaque aurore me ronge un peu plus de moi.
Bientôt je ne serai qu’une tache blanchâtre
Oubliée dans les plis du manteau de la foi. »
Le jeune homme serra contre sa poitrine
Ce cœur astral qui battait en contre-révolution.
« Nous fuirons vers les mers où nul ne devine
Le vrai nom des amants maudits par les saisons. »
Ils construisirent un radeau de branches mortes,
De cordages tissés avec des nuits d’insomnie.
La voile était taillée en ailes de phalènes,
Et la proue chantait une mélopée d’automne.
Mais quand vint le moment de quitter la grève,
L’étoile vacilla telle une feuille morte.
« Je ne puis survivre loin de ma voûte brève,
Mon essence se meurt dès que la terre m’emporte. »
Le poète alors hurla vers les cieux lunaires :
« Prenez donc mes printemps, mes hivers, mes fièvres !
Mais laissez-moi garder cette flamme éphémère
Qui donne un sens au sang coulant dans mes veines ! »
Les dieux restèrent sourds, occupés à quelque
Partie d’échecs avec des pions d’infinité.
Seul répondit le vent, porteur de reliques,
Qui mordit leur espoir avec brutalité.
L’étoile chaque nuit perdait un peu d’éclat,
Son rire s’effilait en soupir cristallin.
Le poète vieillissait de dix ans par degré,
Ses tempes argentaient les neiges du destin.
Un soir d’agonie où les vagues bredouillaient,
Elle posa ses doigts de lumière froide
Sur les lèvres craquelées de celui qui pleurait :
« Notre amour fut un astre entre deux mondes roides.
Je vais devenir poussière dans ta mémoire,
Toi, tu vas continuer à gravir les années.
Porte nos nuits d’azur comme un ultime armure,
Et quand tu chanteras, pense à nos destinées. »
Il voulut protester, mais déjà ses bras vides
N’enserraient plus qu’une pluie de paillettes.
La mer avala tout : soupirs, serments timides,
Et l’île ricana dans ses grottes secrètes.
Depuis ce crépuscule où le ciel s’est vidé,
Le poète erre, spectre aux rimes orphelines.
Ses vers rongent les rocs comme un sel obsédé,
Ses larmes ajoutent leur amertume aux brines.
Parfois, quand minuit teint les flots de mystère,
Il croit voir danser une lueur familière.
Mais ce n’est jamais elle – juste un leurre éthéré,
Brisure de lune ou pleur de fougère.
L’île, implacable horloge aux aiguilles de basalte,
Le pousse vers demain d’un souffle cruel.
Il marche en répétant leur chanson ultime,
Condamné à vieillir sans jamais en finir.
Et les marins qui passent au loin le redoutent :
Sa silhouette arquée vers les cieux défunts,
Ses mains qui étreignent des astres absents,
Et cette voix qui scande un nom que nul n’écoute.
Ainsi va la légende en ces contrées salines :
Qu’il faut craindre l’appel des étoiles mourantes,
Et que l’amour humain, cette divine échine,
Se brise toujours sur les récifs du temps.
Le poète, à présent, n’est plus qu’une strophe
Errant entre les plis d’un univers hostile.
Son ombre se confond avec les algues mortes,
Son chant s’est dissous dans le chœur stérile.
Pourtant, quand décembre mord les nuits d’insomnie,
Quand les constellations semblent hésiter,
On dit qu’un soupir traverse l’infini –
Ultime adieu de deux flammes éteintes.
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