Les Veillées du Temps Suspendu
Dans la maison antique aux poutres tressées d’âges,
Se rassemblent, en silence, au soir déjà fané,
Les âmes qui s’enivrent aux mots en doux rivages.
Le feu, pâle sentinelle aux braises languissantes,
Murmure en dansant ses humeurs de jadis,
Et le Raconteur, cœur vibrant, vêtu d’ombres errantes,
Verse aux flammes ses récits, âmes qu’il ravit.
À l’entour, villageois, aux regards tremblants d’ombre,
Écoutent la voix claire, où le passé s’égare,
Tandis que le souffle court de la nuit qui succombe
Accroche leurs âmes au théâtre du d’ici-bas.
« Écoutez, » dit-il, « le chant que l’heure convoque,
De l’oubli naît le rêve, et du rêve, l’histoire ;
Chaque instant, tel un grain baigné des cieux d’opaque,
Se mêle au chœur des âges en un unique miroir. »
Ainsi prit-il la parole, et sa voix déploie
Les voiles du temps mort, où flottent les destinées,
D’une maison ancienne gardienne de ses lois,
Peuplée d’ombres d’hier, aux promesses entêtées.
« Il fut, jadis, dans ce foyer, une âme ardente,
Une jeune âme vive au regard couleur de vent.
Éloi, fils des terres, aux pensées vagabondes,
Cherchait en son être un semblant d’avenir.
Pâle étoile filante, errant sur les chemins,
Il goûtait la liberté comme un fruit défendu,
Éprouvant la nature en son bruissement divin,
Tissant de son silence un voile inattendu.
Une nuit, à la veillée, le vieux conteur s’incline,
Lui confiant un secret vêtu de la brume ancienne :
« Le savoir, ô jeune âme, se creuse dans la mine
Des âges oubliés, sous la terre lointaine. »
Il parlait des temps d’or, où l’homme encore naïf,
Écrivait dans l’étoile des songes éclatants.
Ainsi naquit son désir, noble, profond, attentif,
De saisir l’invisible aux sens du firmament.
Mais voici qu’à l’horizon, l’ombre du futur plane,
Sillonnant d’éclairs froids les vastes plaines du monde.
Éloi, inquiet enfant, rêve d’une nouvelle page,
Où s’écrirait à l’encre des destinées plus rondes.
Car chaque aurore porte en elle un miel incertain,
Les échos du passé, les cris encore muets,
Et la voix du présent au tendre cœur humain,
Qui cherche à comprendre l’essence des secrets.
À la veillée, le temps file en douces boucles,
Là où le passé danse avec ce qu’on désire :
Chacun cherche en ses nuits quel chemin le débloque,
Quel flambeau allumer pour guider ses empires.
Ainsi, la grand-mère conte, dans un souffle ancien,
Les jours où les rivières portaient les rêves fous,
Les promesses éperdues d’un monde plus lointain,
Les restes d’un espoir sur des chemins flous.
Le grand-père, lui, sourit, le regard aux étoiles,
Se souvenant des jours où s’écrivait son courage,
Aux carrefours mouvants, aux luttes sans voiles,
Gravant dans l’oubli des temps leur précieux ouvrage.
Puis s’élève le jeune, au front clair et pensif,
Cherchant dans le récit l’écho de son voyage,
Pressentant dans l’air le frisson primitif
D’une vérité nue défiant l’ombre et l’âge.
Tous liés en ce lieu par le souffle et la parole,
La veillée devient pont entre les vies dispersées,
Où chaque voix s’éveille et sur la nuit décolle,
Tissant patiemment les toiles d’éternité.
Mais le Raconteur, las, dans un murmure grave,
Avoue que nul retour ne peut étancher le mal,
Que le temps, ce tyran, de ses vagues sans trêve,
Efface les empreintes des êtres si loyaux.
« Et que reste-t-il, alors, après tant d’espérances,
Sinon ces mots fragiles, ces ombres qui s’entrelacent ?
L’homme, voyageur égaré, cherche en sa révérence
Une étoile, une flamme à son doux caprice. »
Silence. Puis, s’élève un souffle au cœur de la nuit :
Un frôlement, une onde, un écho à voix humaine.
Que demain sera-t-il ? Que le destin instruit ?
Personne ne le sait, mais tous espèrent en peine.
Ainsi finit la veillée, mais non la présence,
Des récits chuchotés au creux des vieilles maisons,
Car l’histoire, éternelle, se nourrit de l’absence,
Et le temps, chaque soir, renaît en frisson.
Ô lecteur, voyageur, qui de l’ombre tu viens,
Trouvera-tu ta paix dans cette trame fragile ?
Ou erreras-tu sans fin parmi les lendemains
Où le rêve s’efface en volutes d’argile ?
Le vent s’insinue aux carreaux, emportant les histoires,
Tandis que dans l’ombre le Raconteur s’incline,
Sous l’auguste ciel noir, symboles illusoires
D’un temps hors de l’heure où s’écrit la routine.
Loin, au-delà du seuil, les murmures se perdent,
Mais le cœur se souvient, et la nuit s’enflamme encore.
Le fil du temps suspendu, jamais ne s’arrête,
Laissant aux âmes les clés du doute et de l’aurore.