Les Ombres de la Mémoire
Dans la nef où le temps suspend son vol amer,
Une âme erre, fantôme aux lèvres de brume,
Ses pas muets glissant sur les marbres de pierre,
Sous les arceaux géants que la nuit fait palpiter.
La cathédrale dort, drapée en son linceul,
Ses vitraux éteints comme des yeux sans prunelles,
Et l’orgue, monstre noir aux mille dents obscures,
Garde en ses flancs creux les sanglots de jadis.
Elle avance, frôlant les stèles oubliées,
Cherchant dans le néant les traces d’un visage,
Quand soudain, un soupir traverse la pénombre :
Un enfant apparaît, diaphane et tremblant.
Ses mains sont de cristal, son regard un lac vide,
Où nagent les reflets d’un soleil disparu.
« Qui donc es-tu, dit-elle, ombre parmi les ombres,
Spectre plus éphémère qu’un frisson d’hiver ? »
L’enfant lève un doigt vers la voûte infinie,
Où la lune découpe une croix de silence :
« Je suis ce qui persiste au fond des miroirs morts,
Le murmure étouffé des berceuses fanées.
Mon nom s’est effacé comme un mot sur le sable,
Mais je porte en mon cœur le poids d’un adieu.
Toi qui marches sans but dans ce désert de marbre,
Reconnais-tu ces lieux où ton destin s’est noué ? »
Un frisson parcourt l’âme errante et farouche,
Tandis qu’autour d’eux naît une lueur fragile :
Les piliers se parent de guirlandes de cendre,
Les saints de pierre ouvrent leurs paupières de plomb.
Et voici que surgit, sous les arceaux qui vibrent,
Un matin d’autrefois aux couleurs de pastel,
Où deux enfants riaient, courant dans les chapelles,
Ignorants du destin qui guettait leurs ébats.
« Éloïse… », murmure la spectrale figure,
Comme on égrène un nom gravé sur un tombeau.
L’âme recule, saisie au plus noir de son être :
Ce prénom fut le sien aux jours de son printemps.
« Comment connais-tu cette part de moi-même
Que j’ai jetée aux vents avec mes jeunes ans ?
Mon enfance est un songe enfoui sous la cendre,
Une eau trouble où nul ne peut pêcher son reflet. »
L’enfant tend vers la nuit une main immatérielle :
« Regarde au-delà des voiles de l’oubli,
Vois ces murs trembler comme un parchemin qui brûle,
Et souviens-toi des jeux que le temps a noyés.
Nous courions dans ces lieux quand régnait la lumière,
Tu me nommais ton frère, et moi, j’étais ton roi.
Mais un soir d’orage où les cloches pleuraient,
Tu m’as laissé choir dans le puits des ténèbres. »
Un éclair déchira le linceul des années,
Évoquant pour l’errante un visage perdu :
Des cheveux couleur de blé sous la neige,
Un rire clair qui dansait avec les échos.
« Mathurin… », gémit-elle, et le mot la transperce,
Comme un fer rougi plongé dans son flanc.
« Non, ce n’est qu’un mirage éclos de ma détresse,
Un leurre façonné par les démons du lieu ! »
Mais le spectre enfantin sourit, triste et tendre,
Tandis que ses contours se font plus transparents :
« Notre amitié fut brève ainsi qu’un crépuscule,
Mais ton cœur en garda la brûlure éternelle.
Ce jour où tu perdis mon petit corps fragile
Dans les escaliers tortueux du clocher,
Tu devins à jamais prisonnière du doute,
Et moi, je devins l’hôte de ces murs glacés. »
L’âme tombe à genoux, ses mains traversent l’ombre
Qui déjà se dissout en larmes de lumière.
« Pardonne à l’enfant folle que je fus jadis,
De n’avoir retenu ta main dans la tourmente !
Chaque nuit, ton regard hante mes insomnies,
Mais je croyais ton âme envolée à jamais. »
Le fantôme se penche, effleurant sa paupière :
« Je ne t’ai jamais quittée, ô sœur de douleur.
Tous ces ans, j’ai suivi tes pas lourds de remords,
J’ai essuyé tes pleurs quand tu tombais de fièvre,
Chuchoté ton nom quand le désir de mourir
Faisait luire un poignard dans tes doigts tremblotants.
Mais voici venu l’heure où je dois disparaître :
L’aube va dissoudre les liens de la nuit.
Une dernière fois, prends ma main, suis ma trace,
Et trouvons ensemble le chemin de l’adieu. »
Ils marchent côte à côte en cet étrange cortège,
Traversant les dédales de mémoire vive,
Jusqu’au pied du clocher où le drame ancien
A scellé leur destin dans un pli du temps.
L’enfant montre d’un geste une marche usée :
« C’est ici que ma chair rencontra le granit,
Que mon sang éclaboussa les murs de pierre,
Et que ton cœur d’enfant apprit à se briser. »
Un sanglot déchirant jaillit des profondeurs,
Mêlant deux voix en un unique cri d’angoisse.
L’âme errante embrasse l’ombre qui pâlit,
Sentant fondre entre ses bras la présence chère.
« Ne me quitte pas ! Laisse-moi payer ma dette
Dans les feux éternels ou les glaces du deuil !
Prends ce qui reste de moi pour apaiser ta peine,
Éteins mon souffle impur qui souille l’air sacré ! »
Mais déjà le spectre n’est plus qu’une brume,
Un sourire suspendu dans les premières lueurs.
« Vis, dit une voix douce éteinte dans l’aurore,
Vis pour porter le poids de nos rires défunts.
Chaque pierre ici garde un éclat de nos songes,
Chaque écho répète nos jeux ensevelis.
Je ne suis qu’un reflet, qu’un pli dans ta paupière,
Toi seule détiens la clé de notre hier. »
Quand le jour envahit les entrailles du temple,
L’âme reste prostrée au seuil du souvenir,
Serrant contre son sein des lambeaux de ténèbres
Où persiste un parfum de lilas enfantin.
Les anges de pierre pleurent des larmes d’ambre,
Le vent joue un requiem dans les hauteurs désertes,
Et la cloche se tait, lourde de tout ce deuil
Qu’elle garde enfoui dans son bronze immobile.
Désormais, chaque nuit quand les ombres s’allongent,
On voit errer deux formes sous les voûtes saintes :
L’une fuit éperdue à travers les décombres,
L’autre suit en dansant, spectre joyeux et fin.
Mais quand pointe l’aurore, elles se désunissent,
L’enfant s’évaporant en riant dans les cieux,
Laissant l’autre sangloter, éternelle captive
D’un amour plus puissant que les chaînes du temps.
Ainsi va la douleur des mémoires blessées,
Ainsi pleurent les cœurs que le remords consume :
Le passé n’est jamais qu’un miroir fracassé
Dont chaque éclat reflète un visage perdu.
Et la cathédrale, gardienne des secrets,
Enroule dans sa nuit ces âmes enlacées,
Tandis que dehors roule l’implacable monde,
Aveugle au drame sombre occis dans ses flancs.
Une âme erre, fantôme aux lèvres de brume,
Ses pas muets glissant sur les marbres de pierre,
Sous les arceaux géants que la nuit fait palpiter.
La cathédrale dort, drapée en son linceul,
Ses vitraux éteints comme des yeux sans prunelles,
Et l’orgue, monstre noir aux mille dents obscures,
Garde en ses flancs creux les sanglots de jadis.
Elle avance, frôlant les stèles oubliées,
Cherchant dans le néant les traces d’un visage,
Quand soudain, un soupir traverse la pénombre :
Un enfant apparaît, diaphane et tremblant.
Ses mains sont de cristal, son regard un lac vide,
Où nagent les reflets d’un soleil disparu.
« Qui donc es-tu, dit-elle, ombre parmi les ombres,
Spectre plus éphémère qu’un frisson d’hiver ? »
L’enfant lève un doigt vers la voûte infinie,
Où la lune découpe une croix de silence :
« Je suis ce qui persiste au fond des miroirs morts,
Le murmure étouffé des berceuses fanées.
Mon nom s’est effacé comme un mot sur le sable,
Mais je porte en mon cœur le poids d’un adieu.
Toi qui marches sans but dans ce désert de marbre,
Reconnais-tu ces lieux où ton destin s’est noué ? »
Un frisson parcourt l’âme errante et farouche,
Tandis qu’autour d’eux naît une lueur fragile :
Les piliers se parent de guirlandes de cendre,
Les saints de pierre ouvrent leurs paupières de plomb.
Et voici que surgit, sous les arceaux qui vibrent,
Un matin d’autrefois aux couleurs de pastel,
Où deux enfants riaient, courant dans les chapelles,
Ignorants du destin qui guettait leurs ébats.
« Éloïse… », murmure la spectrale figure,
Comme on égrène un nom gravé sur un tombeau.
L’âme recule, saisie au plus noir de son être :
Ce prénom fut le sien aux jours de son printemps.
« Comment connais-tu cette part de moi-même
Que j’ai jetée aux vents avec mes jeunes ans ?
Mon enfance est un songe enfoui sous la cendre,
Une eau trouble où nul ne peut pêcher son reflet. »
L’enfant tend vers la nuit une main immatérielle :
« Regarde au-delà des voiles de l’oubli,
Vois ces murs trembler comme un parchemin qui brûle,
Et souviens-toi des jeux que le temps a noyés.
Nous courions dans ces lieux quand régnait la lumière,
Tu me nommais ton frère, et moi, j’étais ton roi.
Mais un soir d’orage où les cloches pleuraient,
Tu m’as laissé choir dans le puits des ténèbres. »
Un éclair déchira le linceul des années,
Évoquant pour l’errante un visage perdu :
Des cheveux couleur de blé sous la neige,
Un rire clair qui dansait avec les échos.
« Mathurin… », gémit-elle, et le mot la transperce,
Comme un fer rougi plongé dans son flanc.
« Non, ce n’est qu’un mirage éclos de ma détresse,
Un leurre façonné par les démons du lieu ! »
Mais le spectre enfantin sourit, triste et tendre,
Tandis que ses contours se font plus transparents :
« Notre amitié fut brève ainsi qu’un crépuscule,
Mais ton cœur en garda la brûlure éternelle.
Ce jour où tu perdis mon petit corps fragile
Dans les escaliers tortueux du clocher,
Tu devins à jamais prisonnière du doute,
Et moi, je devins l’hôte de ces murs glacés. »
L’âme tombe à genoux, ses mains traversent l’ombre
Qui déjà se dissout en larmes de lumière.
« Pardonne à l’enfant folle que je fus jadis,
De n’avoir retenu ta main dans la tourmente !
Chaque nuit, ton regard hante mes insomnies,
Mais je croyais ton âme envolée à jamais. »
Le fantôme se penche, effleurant sa paupière :
« Je ne t’ai jamais quittée, ô sœur de douleur.
Tous ces ans, j’ai suivi tes pas lourds de remords,
J’ai essuyé tes pleurs quand tu tombais de fièvre,
Chuchoté ton nom quand le désir de mourir
Faisait luire un poignard dans tes doigts tremblotants.
Mais voici venu l’heure où je dois disparaître :
L’aube va dissoudre les liens de la nuit.
Une dernière fois, prends ma main, suis ma trace,
Et trouvons ensemble le chemin de l’adieu. »
Ils marchent côte à côte en cet étrange cortège,
Traversant les dédales de mémoire vive,
Jusqu’au pied du clocher où le drame ancien
A scellé leur destin dans un pli du temps.
L’enfant montre d’un geste une marche usée :
« C’est ici que ma chair rencontra le granit,
Que mon sang éclaboussa les murs de pierre,
Et que ton cœur d’enfant apprit à se briser. »
Un sanglot déchirant jaillit des profondeurs,
Mêlant deux voix en un unique cri d’angoisse.
L’âme errante embrasse l’ombre qui pâlit,
Sentant fondre entre ses bras la présence chère.
« Ne me quitte pas ! Laisse-moi payer ma dette
Dans les feux éternels ou les glaces du deuil !
Prends ce qui reste de moi pour apaiser ta peine,
Éteins mon souffle impur qui souille l’air sacré ! »
Mais déjà le spectre n’est plus qu’une brume,
Un sourire suspendu dans les premières lueurs.
« Vis, dit une voix douce éteinte dans l’aurore,
Vis pour porter le poids de nos rires défunts.
Chaque pierre ici garde un éclat de nos songes,
Chaque écho répète nos jeux ensevelis.
Je ne suis qu’un reflet, qu’un pli dans ta paupière,
Toi seule détiens la clé de notre hier. »
Quand le jour envahit les entrailles du temple,
L’âme reste prostrée au seuil du souvenir,
Serrant contre son sein des lambeaux de ténèbres
Où persiste un parfum de lilas enfantin.
Les anges de pierre pleurent des larmes d’ambre,
Le vent joue un requiem dans les hauteurs désertes,
Et la cloche se tait, lourde de tout ce deuil
Qu’elle garde enfoui dans son bronze immobile.
Désormais, chaque nuit quand les ombres s’allongent,
On voit errer deux formes sous les voûtes saintes :
L’une fuit éperdue à travers les décombres,
L’autre suit en dansant, spectre joyeux et fin.
Mais quand pointe l’aurore, elles se désunissent,
L’enfant s’évaporant en riant dans les cieux,
Laissant l’autre sangloter, éternelle captive
D’un amour plus puissant que les chaînes du temps.
Ainsi va la douleur des mémoires blessées,
Ainsi pleurent les cœurs que le remords consume :
Le passé n’est jamais qu’un miroir fracassé
Dont chaque éclat reflète un visage perdu.
Et la cathédrale, gardienne des secrets,
Enroule dans sa nuit ces âmes enlacées,
Tandis que dehors roule l’implacable monde,
Aveugle au drame sombre occis dans ses flancs.
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